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Tous les articles publiés sur Plumes d'Asie sont rassemblés ici par ordre chronologique, du plus récent au plus ancien.


10/04

Shanghai à mi-chemin entre Pékin et Hong Kong



Attachez vos ceintures, vous allez arriver à Shanghai à plus de 300km/h. Pas par le TGV, mais grâce à un train ultra moderne à sustentation magnétique. Inauguré en 2002, le Maglev met 8 minutes pour effectuer le trajet de 30 kilomètres entre l'aéroport international de Pudong et le centre ville. L'engin futuriste symbolise le développement et l'ambition d'une mégapole à mi-chemin entre Pékin et Hong Kong, aussi bien géographiquement que culturellement, économiquement et politiquement.

Le plan d'urbanisme de Shanghai est d'abord très différent de celui de Pékin, une agglomération à peu près comparable en nombre d'habitants (respectivement 23 et 20 millions) mais plus de trois fois supérieure en superficie. Au lieu d'être découpée en cercles concentriques comme son homologue du Nord, la capitale économique chinoise se divise en différents quartiers aux atmosphères très différentes, de la vieille ville à la concession française. Les gratte-ciels sont disséminés un peu partout au milieu de ces ensembles de maisons, qui sont comme autant de villes dans la ville. L'ensemble reste relativement restreint, et il est tout à fait possible de visiter Shanghai sans emprunter une seule fois les transports publics. La congestion du trafic s'en ressent: en quatre jours je n'ai vu aucun bouchon.

Les arnaques pour touristes sont tout aussi présentes qu'à Pékin, même si la tactique est différente: deux personnes vous accostent en vous demandant d'abord de les prendre en photo, puis vous expliquent qu'elles sont là juste pour quelques jours, et vous enjoignent alors à grands renforts de compliments de les accompagner à un « Chinese Festival » ou une « tea performance » soi-disant très typiques. Ils vous emmènent en réalité dans un atelier d'art ou un salon de thé, en vous demandant à la sortie de payer le prix fort pour ce que vous avez vu ou consommé. Leur démarche est à chaque fois étrangement similaire, et grâce à nos mésaventures pékinoises j'ai réussi à ne pas me faire avoir ce coup-ci!

L'emprise politique se fait beaucoup moins ressentir que dans la capitale du pays. La présence policière, certes importante, est par exemple beaucoup moins visible. De même, bien que la propagande marxiste du Musée du Premier Congrès du Parti Communiste ne soit pas sans rappeler l'exposition sur la « réjuvénation du peuple » du Musée national de Chine à Pékin, les collections du Musée d'Histoire de Shanghai reconnaissent le rôle de l'occupation étrangère passée dans l'ouverture et la prospérité présente de la ville. Les concessions française et britannique se sont en effet peu à peu constituées comme d'importants comptoirs commerciaux après la Deuxième Guerre de l'Opium en 1860, et n'ont été démantelées qu'en 1949 avec l'arrivée au pouvoir des communistes.

Shanghai a été largement influencée par cette forte présence étrangère, même si la ville n'est jamais devenue une colonie à proprement parler comme Hong Kong, cédée à l'Empire Britannique par le traité de Nankin mettant fin à la Première Guerre de l'Opium en 1842. Les traces de l'occupation occidentale y sont toutefois beaucoup plus visibles. La plupart des bâtiments historiques du fameux Bund ont été rénovés pour en faire l'emblème de Shanghai en vue de l'Exposition Universelle de 2010, tandis qu'à Hong Kong les vestiges de l'héritage britannique sont désormais disséminés au milieu des buildings et beaucoup moins mis en valeur.

Les deux villes se disputent aujourd'hui le rôle de « porte d'entrée » de l'immense marché chinois, et présentent des profils assez semblables économiquement, avec notamment chacun une Bourse et un port très importants (le plus actif du monde pour Shanghai, le troisième pour Hong Kong). Hong Kong joue de son statut d'ancienne colonie, d'une population d'expatriés nombreuse et de standards d'anglais élevés pour faire valoir son ouverture internationale, tandis que Shanghai s'appuie davantage sur sa proximité culturelle et linguistique avec l'Empire du Milieu.

La concurrence entre les deux villes semble fonctionner sur le modèle des vases communicants, puisque le ralentissement de l'expansion économique de Hong Kong à la fin des années 1990 a coïncidé avec la croissance exponentielle de Shanghai consécutive à l'ouverture de la Zone Économique Spéciale de Pudong. La récente nomination de Xi Jinping à la tête de la République Populaire de Chine pourrait une nouvelle fois illustrer ce phénomène, en jouant en faveur de Hong Kong avec le retour de la production industrielle dans la province voisine du Guangdong. Hu Jintao, prédécesseur de Xi et ex-dirigeant du Tibet, avait en effet choisi de relocaliser de nombreuses usines plus à l'intérieur du pays, une décision sur laquelle pourrait revenir le nouveau maître de Pékin, ex-élu de la province côtière du Fujian et issu d'une tendance politique opposée.

J'ai pu me rendre compte jusqu'à maintenant du dynamisme et de la prospérité économique de la Chine en visitant les trois plus grandes villes du pays (Pékin, Shanghai, Canton). Cependant la moitié de la population chinoise vit encore dans les campagnes et le salaire moyen y est six fois moins élevé que dans les villes. La Chine de l'intérieur fera donc l'objet d'un dernier voyage pour tenter d'avoir une vision plus globale et juste de ce pays si fascinant et si particulier.



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En vidéo: une technique de massage bien particulière, et un bruyant marché couvert.


24/03

Canton aime, Hong Kong pas



Non, Hong Kong n'est pas la Chine. Du moins pas celle de Guangzhou (Canton), où nous avons passé un week-end chez des amis.

Les chinois crient, reniflent, crachent, se bousculent. Le trafic routier est congestionné en permanence, avec tout type de véhicules sur la route et des chaussées qui s'entremêlent ou se superposent sans arrêt.

La troisième agglomération de Chine compte 12 millions d'habitants, et s'étend sur plus de 3 800 kilomètres carrés, soit 36 fois Paris intra-muros. L'urbanisation est anarchique, avec des bâtiments historiques noyés au milieu des gratte-ciels. La démesure de la ville est symbolisée par la Canton Tower, dont les 600 mètres d'altitude en font la quatrième tour la plus haute du monde.

Cette concentration incroyable provoque une pollution très visible, des eaux troubles de la Rivière des Perles au nuage gris qui assombrit le ciel à longueur de journée.

La composition de la population de Canton est remarquable. Bien que la ville ait donné son nom au langage principal du sud du pays, c'est le mandarin qui s'entend le plus dans les rues, sans doute en raison du nombre d'immigrants venus des autres provinces. Presque personne cependant ne parle anglais.

La population étrangère n'est pas du tout la même qu'à Hong Kong. Dans l'ex-colonie britannique les expatriés sont majoritairement européens ou américains; à Canton ils viennent davantage d'Afrique, du Moyen-Orient ou d'Amérique Latine. Les européens sont alors une véritable attraction, se faisant constamment inviter pour prendre une photo, boire un verre ou participer à un karaoké.

Les différents marchés regorgent d'une activité débordante. Dans celui de Qingping se trouvent alignées sur des rues entières des échoppes de médecine chinoise, qui vendent principalement des plantes et animaux séchés. Aux alentours les marchés alimentaires sont également bien achalandés, proposant un choix très divers de dimsums, brochettes, raviolis, ou de façon plus surprenante poulets égorgés juste devant le client, tortues, serpents, scorpions, chiens, chats, crapauds...

Autour de la gare principale, l'ambiance du gigantesque marché de contrefaçons est complétement différente mais tout aussi incroyable. Des négociants africains, sud-américains ou d'Europe de l'Est viennent par dizaines commander des imitations des grandes marques occidentale de vêtements, bijoux ou appareils électroniques. Le nombre incalculable de petites boutiques et le fait qu'il soit peu avantageux voire impossible d'acheter au détail, laissent imaginer l'importance de cette activité parallèle dans cette partie de la Chine.

Hong Kong est sans doute moins chinoise que sa rivale cantonaise, mais en tout cas bien plus plaisante.



Carnets de Birmanie

07/02

7h45, atterrissage à l'aéroport international de Rangoon, début de l'aventure birmane! Un pays étrange, indépendant de l'Empire britannique depuis 1948 et officiellement devenu Myanmar en 1989, mais que tous les étrangers continuent d'appeler Birmanie. Une capitale désormais située à Nay Pyi Taw, à laquelle tout le monde préfère Yangon (Rangoon en français et en anglais).

Des véhicules qui roulent à droite avec un volant à droite, suite à une subite décision gouvernementale aux obscures explications astrologiques. Une nation qui se régénère depuis un an et demi et l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement semi-civil beaucoup plus libre que la junte précédente, qui en presque cinquante ans de dictature a fait du pays l'un des plus pauvres et des plus corrompus du monde.

Dès l'arrivée en centre ville, notre taxi est stoppé par d'importants bouchons. Le chauffeur nous explique qu'ils sont quotidiens, matin et soir principalement, depuis que le gouvernement a diminué incroyablement le prix des véhicules l'an dernier. Un mini-bus en mauvais état comme le sien coûtait 20 000 US$ fin 2011, maintenant il en vaudrait plutôt 6 000.

Ces mesures sans précédent ont permis à des milliers de nouveaux foyers d'acheter une voiture. Les effets se ressentent en terme de congestion du trafic, et une nouvelle autoroute est actuellement en construction pour rallier l'aéroport au centre-ville.

Notre conducteur, qui parle un très bon anglais, nous explique également que le Myanmar a connu un afflux de touristes considérable ces dernières années, notamment des français et des allemands, mais aussi quelques asiatiques. Le nombre de visiteurs par an est en effet en constante augmentation, représentant près de 260 000 voyageurs entre janvier et octobre 2012.

Notre interlocuteur semble aborder ces sujets avec une relative dé-complexion. Mais lorsque je lui pose des questions un peu plus contentieuses, il préfère les ignorer pour ne pas que notre discussion prenne une tournure trop politique qui pourrait le mettre en danger.

Rangoon offre d'emblée son lot de surprises. Les marques occidentales, pour la plupart interdites d'entrée sur le marché birman depuis vingt ans, s'affichent désormais ostensiblement. Lionel Messi et ses publicités pour Pepsi concurrencent les affiches vantant les mérites des produits Mastercard.

Sur les trottoirs des rues très colorées, de nombreuses femmes ont le visage étrangement couvert d'une sorte de crème épaisse marron qui s'apparente presque à du sable. Elle provient d'un arbre qui s'appelle le thanaka et vise à protéger la peau du soleil, nous explique-t-on. Sur la chaussée, une circulation folle grouille dans tous les sens, mais aucun deux-roues motorisé, que le gouvernement a formellement interdit.

Objectif de ce premier jour: entrer en possession de la monnaie locale, le fameux kyat. Un véritable parcours du combattant, puisqu'il est impossible d'utiliser une carte de crédit internationale pour retirer directement dans un distributeur birman ou ailleurs. Le seul moyen est donc de changer sur place des dollars américains. Il faut non seulement que ceux-ci aient été édités après 2006, mais également qu'ils soient en parfait état, vierges de toute inscription ou même pliure.

C'est donc après plus d'une heure à arpenter les rues de l'(ex) capitale en déclinant pléthore d'offres toutes plus douteuses les unes que les autres, que nous ressortons d'un bureau de change semi-officiel avec plusieurs grosses liasses de billets sous le bras. Un euro équivaut environ à 1 000 kyats, et nous n'avons obtenu que des coupures de 1 000 et 5 000 kyats!

C'est donc un peu dubitatifs mais soulagés que nous visitons la pagode de Schwedagon. Le majestueux édifice, dont la cloche centrale culmine à quelques 98 mètres au-dessus du sol, est l'un des emblèmes de Rangoon. Elle est absolument sublime, et contrairement à beaucoup de sites touristiques en Asie, l'authenticité du lieu semble préservée et les nombreux marchands de souvenirs bien moins agressifs.

Accessible par d'imposants escaliers, cernée d'habitations et d'une multitude de petits temples et autres stûpas, les décors sont très richement ornés et particulièrement bien entretenus pour une pagode plus que millénaire.

Une controverse demeure sur son âge exact, puisque la légende dit qu'elle a été bâtie il y a 2500 ans, tandis que pour les historiens la construction se situerait davantage entre le VIe et le Xe siècle. L'édifice a toutefois dû être reconstruit de nombreuses fois au cours de son histoire, suite à plusieurs tremblements de terre.

Pour le moment c'est encore un peu difficile de réaliser et de prendre la mesure du pays, une nuit blanche passée dans les avions n'aidant sûrement pas. Mais cette première visite laisse augurer une belle suite de voyage.




08/02

Après avoir bien récupéré, la deuxième journée peut commencer tôt. Du moins suffisamment pour assister au silencieux défilé des bonzes, drapés dans leur toge safran et le crâne rasé, qui demandent aux habitants de Rangoon l'aumône de leurs repas quotidiens. La scène semble assez incongrue dans un pays où la population peine bien souvent à se nourrir elle-même.

Il n'est même pas 8h et le marché est déjà très animé. L'hygiène des étals est parfois douteuse, surtout en ce qui concerne la viande. Elle est transportée directement dans des pickups et découpée à même le comptoir, entreposée dans la chaleur, à côté des têtes dépecées des chèvres et des moutons.

Les birmans, du moins dans les quartiers sud de Rangoon que nous avons visités ce matin-là, ressemblent soit à des Indiens, soit à des Thaïlandais. Nous n'avons pas encore trouvé de morphotype birman particulier.

Les hommes portent pour la plupart l'habit traditionnel, le sarong. Ils mâchent une étrange substance rougeâtre enroulée dans des feuilles de bétel, donnant à leur bouche cette inquiétante couleur sang. Ils crachent abondamment et le bitume des trottoirs en est tout recouvert.

Un autre élément frappant dans l'(ex) capitale birmane: sa relative ouverture. Les gens circulent librement, la présence policière ou militaire est quasiment invisible. Des messages sont diffusés un peu partout pour demander à la population d'être accueillante avec les touristes, et en effet elle l'est.

Mais surtout, illustration assez représentative du changement qui s'opère aujourd'hui dans le pays car inimaginable il y a encore deux ans: des portraits d'Aung San Suu Kyi couvrent les murs, et ses ouvrages trônent sur tous les présentoirs des libraires de rue.

Nous nous dirigeons en milieu d'après-midi vers la principale gare routière de la ville, pour y prendre le bus qui nous conduit au lac Inle. La station est immense et bondée, dès notre arrivée plusieurs personnes nous accostent pour nous proposer des tickets, de façon presque agressive. Une sortie de Rangoon un peu comme une préparation à l'accueil qui nous attend au lac Inle.



Voici trois vidéos et quelques photos légendées pour essayer de mieux se rendre compte de l'atmosphère de Rangoon:

Un marché:
http://youtu.be/-VOkI11R-BQ

Un carrefour:
http://youtu.be/bUZGQFgLQG4

Une procession festive:
http://youtu.be/c6vnSQdars0




09/02

Le trajet de douze heures en bus est assez confortable, du moins en comparaison de ceux expérimentés en Indonésie. Le véhicule est neuf, spacieux, climatisé, et de nombreux accessoires et gadgets sont distribués aux passagers. Ceux-ci sont pour l'essentiel birmans, mais doivent tout de même appartenir à une couche aisée de la population. Un salaire mensuel type à Rangoon est de 9 000 kyats, alors qu'un ticket pour Inle en coûte 11 000.

Le bus emprunte au début la titanesque autoroute récemment construite pour rallier Rangoon et Mandalay à la nouvelle capitale artificielle Nay Pyi Taw. Il s'arrête très fréquemment sur des aires d'autoroute, ou pour prendre et déposer des passagers. Les deux écrans placés au-dessus des sièges diffusent très bruyamment des clips de pop birmane ou des épisodes de séries télé nationales, et ce même en pleine nuit.

Après une nuit peu reposante dans de telles conditions, nous arrivons à Schwenyaung, à une vingtaine de kilomètres au nord du lac Inle. Un chauffeur de taxi saute sur nos affaires et nous presse de monter avec lui, alors que déjà il commence à insulter les autres conducteurs qui viennent également nous proposer leurs services.

Lorsque nous arrivons à Nyaungschwe, la grande ville la plus proche du lac, rien n'est encore ouvert si ce n'est une petite échoppe qui propose des petits déjeuners. Le service est assuré par des enfants. Ils ont une dizaine d'années tout au plus. Il est cinq heures du matin et ils accueillent les touristes d'un « tea or coffee » désemparant.

Nous assistons à des scènes tout aussi surréalistes et choquantes au cours d'un tour en vélo autour du lac. D'autres enfants, qui semblent encore plus jeunes, conduisent tout seuls des troupeaux de vaches aux champs.

L'atmosphère et les paysages sont très différents de ce que nous avons pu voir jusqu'à maintenant en Asie du Sud-Est. Les pâtures et les cultures de riz s'étirent sur des kilomètres, sur des sols très secs. Les petites maisons sur pilotis des paysans se reflètent mélancoliquement dans l'eau paisible des canaux qui bordent des deux côtés le chemin.

Cette voie de terre battue et de cailloux nous conduit jusqu'aux contre-forts de hautes collines, où essaiment très régulièrement de petites pagodes blanches aux stûpas d'or. Les touristes sont peu nombreux à s'aventurer dans cet endroit plus reculé.

Ils sont en revanche des milliers à avoir pris d'assaut les hôtels de Nyaungshwe, qui affichent complet chaque matin lors des trois mois de saison sèche, la seule période touristique de l'année (de décembre à début mars). L'isolement relatif de ces petits villages situés au nord-est du lac, nous permet de nouer des relations beaucoup plus naturelles avec les locaux.

Un birman rencontré sur le bord de la route nous a par exemple aidé à changer la roue crevée de l'un de nos vélos. Il a d'abord refusé le billet de 1 000 kyats que nous lui tendions pour le remercier de son service, avant de finalement l'accepter en nous rendant un billet de 500.

De même, un groupe de paysannes nous a chaleureusement conviés à les joindre dans leur activité, et nous avons ainsi ébossé le maïs pendant une heure avec elles. L'échange s'est déroulé dans la plus grande simplicité, ponctué de sonores éclats de rire à chaque fois que nous essayions d'apprendre un mot en birman.

A l'heure où je m'interrogeais sur la pertinence d'un voyage aussi court et au but essentiellement touristique, voici qui nourrit ma réflexion. Il est possible de faire de belles rencontres, mais seulement à l'extérieur des sentiers battus.



10/02

Programme du jour: balade en bateau sur le lac Inle. Le long trajet initial d'une heure et demi est propice à la réflexion, d'autant que la matière ne manque pas.

Des dizaines de pêcheurs attendent à l'embouchure du canal. La zone est peut-être poissonneuse, mais nous avons davantage l'impression qu'ils sont là pour les photos souvenirs. Comment peuvent-ils encore espérer attraper du poisson, lorsque des centaines de pirogues à moteur remplies de touristes naviguent tous les jours dans ces eaux?

La nuisance pour l'environnement est due non seulement aux hélices des bateaux qui détruisent les plantes d'eau, mais également au bruit et aux gaz d'échappement. Si dans un futur proche le tourisme de masse continue de se développer comme il l'a fait ces dernières années, le scénario le plus probable, la pollution risque de contaminer tous les poissons et développer de nombreuses maladies chez les habitants du lac. C'est non seulement un écosystème qui se trouve en péril, mais également un mode de vie plusieurs fois séculaire.

Car de même, le tourisme pervertit en quelque sorte les populations indigènes. Les sommes d'argent qu'il fait dangereusement miroiter sur les belles eaux intactes du lac, sans aucune commune mesure avec le niveau de vie local, font rapidement tourner les têtes.

Cette manne est loin d'être vecteur de développement durable. Elle ne fait au contraire que creuser les inégalités et dégrader les relations sociales. La course au profit semble progressivement contaminer cet espace paisible où le bonheur semblait si simple.

Dans un marché traditionnel, les vendeurs de souvenirs se jettent presque aux pieds des touristes et une concurrence féroce donne lieu à des scènes assez désolantes. Les touristes, pour une grosse moitié des retraités français, jouent souvent le jeu avec beaucoup de mépris et d'irrespect. Ces rapports dégradants et uniquement pécuniaires sont pourtant les seuls échanges qu'ils entretiennent avec les locaux.

Heureusement à côté de ce triste spectacle subsistent quelques scènes plus authentiques. Ici les femmes venues des montagnes font tranquillement leur marché, là les hommes s'entraident pour réparer une roue de charrette, tous sont souriants entre eux. Les attelages tirés par des bœufs demeurent le principal moyen de transport, et la plupart de l'industrie tourne autour du bois. Le temps semble s'être comme arrêté.

Filature de lotus, pagode, fabrique de cigares, monastères des chats qui sautent... Les étapes de notre tour se suivent et à chaque arrêt ce sont toujours les même touristes que l'on retrouve, et les mêmes commentaires ethnocentriques que l'on entend.

Les réactions des locaux face à ce phénomène sont assez ambivalentes. Il y en a qui semblent considérer tout cela de façon négative, comme notre chauffeur de bateau qui n'a pas décrispé les traits une seule fois de toute la journée, nous faisant facilement comprendre que nous l'intéressions seulement par notre argent.

Cette catégorie semble toutefois marginale par rapport aux locaux accueillants, qui sont fiers de faire partager de façon complétement désintéressée leurs traditions, ou ceux qui offrent gracieusement les produits qu'ils fabriquent. Le charme de la vie lacustre est fascinant et l'immensité sublime.

Jusqu'à quand?



Voici trois vidéos et quelques photos légendées pour essayer de mieux rendre compte de l'atmosphère du lac Inle:

Le long défilé des bonzes faisant leur aumône quotidienne dans les rues de Nyangshwe:
http://youtu.be/Pn56YPrW5DM

Le processus de filage de la tige de lotus:
http://youtu.be/tSu9giSwu3A

Les gaz d'échappement de notre pirogue:
http://youtu.be/jrOqZECqIRE




11/02

Nous quittons le lac Inle et l'hôtel de Nyaugshwe où nous avons passé deux nuits. Même en ce lundi matin, les deux filles à tout faire de l'hôtel sont déjà à servir leurs méprisants clients. Âgées de quinze ans tout au plus, nous les avons vu travailler sans relâche tout le week-end, du ménage à la réception en passant par la cuisine. Elles ne sont manifestement plus scolarisées.

Le patron nous fait des adieux faussement chaleureux en nous poussant dans le taxi d'un de ses amis. Il n'a pas daigné nous parler d'autre chose que de prix durant tout notre séjour, malgré son très bon anglais. La beauté des derniers reflets sur les eaux du canal essaie une dernière fois de nous retenir, mais nous sommes en quelques sorte soulagés de quitter cet endroit où l'argent du tourisme a acheté beaucoup trop d'âmes.

Sur la route pour rallier la gare de Schwenyaung, les enfants sont nombreux à battre joyeusement le chemin de l'école, leur petite gamelle sous le bras. Les adultes, sur leur charrette ou à pied, vaquent également à leurs occupations.

L'atmosphère qui règne dans la gare ferroviaire est elle aussi très différente de celle que nous avons pu expérimenter ces derniers jours. Pas moins de cinq personnes essaient de trouver pour nous l'adresse d'un hôtel pour le soir à Thazi, le terminus de notre train, et d'appeler pour réserver.

Le chef de gare s'occupe personnellement de nous donner toutes les informations relatives à notre voyage. Il nous explique qu'il a demandé à l'un de ses amis de nous attendre à la gare d'arrivée pour nous emmener jusqu'à notre hôtel. Il transporte même sur son propre scooter jusque chez le médecin l'un de nous qui commençait à être malade, et insiste pour qu'aussi bien la consultation que les médicaments prescrits nous soient entièrement gratuits.

Néanmoins mal renseignés en aval, nous patientons au total plus de trois heures dans la gare de Schwenyaung, au milieu des vaches qui paissent tranquillement sur les voies, et des agents bruyamment lancés dans une partie endiablée de palais birman. Le train arrive finalement avec une heure de retard.

Même en première classe, le confort est rudimentaire: quelques planches de bois au sol, pas d'éclairage, un lavabo sans eau... Et surtout une vitesse incroyablement lente, d'autant qu'à chaque gare nous sommes obligés de revenir en arrière plusieurs fois avant d'accrocher tous les wagons. Le train est un important moyen de transport pour les marchandises, et à chaque arrêt sont chargés des meubles, du bois, ou encore des produits agricoles.

Nous en profitons pour admirer le décor, et d'ailleurs quelques touristes ont également privilégié la beauté des paysages à la rapidité d'un bus. Différents reliefs se succèdent, plaines et colline de terre ocre. La végétation s'apparente parfois presque à du maquis, tandis qu'à d'autres endroits elle est plus abondante et se concentre en petites forêts. Dans les champs des bœufs aux longues cornes broutent paisiblement, et les rares paysans cultivent le pois et d'autres légumes.

Ainsi bercés, les douze heures de trajets (pour moins de 200 kilomètres) passent finalement assez vite et sont très plaisantes. Malgré le retard et l'heure tardive, l'ami de notre sympathique chef de gare du matin nous attend bien à la descente du train. Il nous emmène en charrette jusqu'à notre auberge, où nous allons passer la nuit avant de reprendre la route demain matin. Nous sommes seulement à mi-chemin entre le lac Inle et Bagan!



12/02

Journée « de transition », puisque nous avons seulement prévu un transfert de Thazi à Bagan. Le trajet direct de bus devait durer quatre heures, finalement il nous prendra plus que la journée.

Le gérant de notre hôtel avait dit que le bus passerait juste devant son établissement entre 10h et 11h. Dès 9h30 nous nous tenons prêts. A 15h30 il n'est toujours pas arrivé, ayant soi-disant rencontrés des « problèmes » sur la route.

Nous décidons donc de prendre un pickup-taxi pour tenter notre chance sur une route où il est sensé y avoir plus de passage. Nous n'avons que très peu d'informations, et sommes un peu pris de cours lorsqu'une foule de birmans barbus sortant directement de la mosquée voisine, entoure notre véhicule en nous proposant chacun des plans différents pour rallier Bagan.

Heureusement surgit un homme providentiel sur son scooter, qui nous dit posséder une agence de voyages et se propose de nous y conduire. Après quelques coups de téléphone depuis son petit bureau installé au bord de la route, il nous dit avoir réservé pour nous quatre places dans le bus de 22h-22h30 en provenance de Nay Pyi Taw. Haut en couleurs, le personnage n'hésite pas à pester contre « cette capitale artificielle qui a coûté des milles et des cents et qui ne représente rien ».

Il est 17h30 et l'attente s'annonce encore bien longue, mais au moins il semble que nous avons enfin un plan fiable.

Nous profitons de cet énième battement pour joindre un petit groupe de locaux qui jouent au takraw. C'est un sport d'Asie du Sud-Est typiquement (péninsule indochinoise et Birmanie principalement), qui se joue sur un terrain de volley séparé en deux par un filet de badminton. Le but est de se renvoyer une petite balle en plastique de la taille d'un ballon de handball, en utilisant soit la tête soit les pieds. L'activité requiert à la fois souplesse et agilité. L'ensemble est assez plaisant, et l'échange très sympathique.

Après un frugal repas, nous attendons encore un petit moment dans la maison de notre agent de voyages. Âgé de 72 ans, il est célibataire mais vit avec son frère et toute la famille de sa sœur, une trentaine de personnes au total, dans trois minuscules maisons mitoyennes. Rien n'est rangé et l'hygiène déplorable. Les enfants sont chacun rivés sur l'une des nombreuses télévisions de la maison.

Il est enfin l'heure de prendre le bus. Notre intermédiaire nous annonce que finalement il faut aller à sa rencontre à un kilomètre au nord de la ville, et nous propose de s'y rendre à deux scooters de trois passagers chacun, avec nos bagages. J'exprime mes réserves, nous prenons finalement un bus qu'il essaie de nous faire payer 10 000 kyats. Nous refusons, il paie.

Finalement le bus arrive, et seulement trois heures plus tard nous sommes à Nyang U, à quatre kilomètres de Bagan. Il est 1h30, tous les hôtels sont fermés et ceux qui entrouvrent leurs portes sont déjà tous complets. Aucun ne nous propose une alternative pour éviter de passer la nuit dehors.

Même les véhicules qui nous voient dans la rue à cette heure tardive avec nos gros sacs ne s'arrêtent pas. Seul un réceptionniste sur toute la ville nous propose gracieusement de se reposer quelques heures sur les fauteuils de l'accueil de son hôtel de luxe. Assez dérangeant et peu confortable, nous passons une troisième nuit blanche.

Une journée de galères en somme, mais au moins riche de deux enseignements: dès que l'on sort des grands itinéraires balisés, il est très difficile de trouver des informations et des transports fiables; et la plupart des habitants des zones touristiques semble devenus étrangers à toute notion d'hospitalité dès leur intérêt financier satisfait.




13/02

Ce matin nous avons finalement un gros coup de chance en trouvant une chambre de quatre dans un bon hôtel situé en plein centre ville de Nyang U. Nous nous acquittons d'un loyer modéré et de la taxe gouvernementale de cinq dollars par personne pour avoir le droit de pénétrer dans le site de Bagan, puis louons des vélos pour partir à l'exploration.

La première pagode, Schwezigon Paya, est l'une des plus anciennes de Birmanie. Elle a été construite au XIe siècle, sur le modèle de la Schwedagon Paya de Rangoon. L'imposante stûpa d'or qui se découpe dans le ciel bleu et ses nuages blancs est absolument sublime.

Nous nous perdons ensuite en suivant des pistes de terre battue qui mènent inévitablement à des temples de brique ocre. C'est ainsi que nous découvrons par hasard la blanche pagode de Shwesandaw. Nous gravissons les cinq séries d'escaliers successives de la pyramide pour prendre un peu de hauteur.

Quel n'est pas notre ébahissement en arrivant en haut! Nous restons littéralement sans voix devant cette immense plaine où se dressent des centaines et des centaines de temples, au beau milieu d'une alternance de bosquets touffus, de chemins poussiéreux de terre ocre et de palmiers isolés.

Le panorama est indescriptible même en photo, voici une petite vidéo pour aider à prendre la mesure de cette vue incroyable:
http://youtu.be/NjZB3Pe3BkM

Nous avons également visité la grande pagode située à quelques centaines de mètres, Dhammayangyi Patho. Elle est beaucoup plus haute, mais il n'est pas possible de monter à son sommet. Comme dans beaucoup de temples, un grand nombre de vendeurs à la sauvette s'arrachent les nombreux groupes de touristes.

J'ai l'occasion d'échanger quelques minutes avec l'un d'entre eux. Il a dix-sept ans, n'est jamais allé à l'école, ni plus loin que Mandalay, à moins de 150 kilomètres de chez lui. Depuis son plus jeune âge il vend des souvenirs dans les temples de Bagan, et ne semble pas avoir d'autres alternatives pour son avenir.

Quant à une autre marchande, elle a une vingtaine d'années et parle un très bon français. Elle pratique le plus possible, dans le but de pouvoir un jour devenir guide. Il faut dire qu'elle n'a aucun mal à trouver des locuteurs de la langue de Molière par ici, le nombre de touristes français est incalculable.

Cependant ils sont tous relativement âgés, et nous sommes presque les seuls jeunes. Si nous n'expliquons pas que nous avons la possibilité d'être ici parce que nous étudions à Hong Kong cette année, notre présence est en effet difficilement compréhensible. Quelle chance nous avons!



14/02

En ce jeudi matin, petit tour d'observation de la ville avant le petit déjeuner. Première surprise, il est 7h et les rues sont encore presque désertes, au contraire de la plupart des autres villes et villages d'Asie. Il n'y a guère que les femmes du marché qui commencent à arranger leurs rouleaux de papier toilettes, biscuits ou autres éponges. Le marché de proximité fait parfois aussi office de supermarché en Birmanie.

Les enfants également s'activent pour arriver à l'heure à l'école, un grand complexe de couleur verte à la cour intérieure immense. Les élèves, garçons ou filles, doivent tous porter sarong ou jupe verts en bas, chemisette ou chemisier blanc en haut.

Leurs tenues impeccables ne passent pas inaperçues au milieu des chemins poussiéreux, qui séparent les blocs de maisons de paille tressée et leur hautes palissades de roseau. Des monticules d'ordures et notamment de sacs plastiques sont disséminés partout. Certains profitent de la fraîcheur du petit matin pour brûler leurs déchets, mais aucun système centralisé de traitement ne semble exister.

Nous louons de nouveau des vélos pour arpenter la vaste plaine de Bagan. Le site est décidément immense. Nous visitons un nombre impressionnant de nouvelles pagodes, même si nous commençons à avoir l'impression qu'elles se ressemblent plus ou moins entre elles.

De même que la veille, le coucher de soleil est obstrué par une fine couche de nuages.

Après un dîner presque aux chandelles suite à une énième coupure générale de courant, il est déjà temps de se mettre au lit pour se reposer quelques heures. La journée a été épuisante, et demain réveil avant le jour pour un prometteur lever de soleil sur les stûpas.



15/02

Une charrette se propose de nous transporter à un bon point de vue pour admirer l'aurore. Effectivement l'endroit est intéressant et les spectateurs sont déjà nombreux à avoir pris place au sommet du temple. Silencieux, ils ont tous l'air de professionnels de la photo avec leurs appareils à gros objectifs.

Il y a notamment beaucoup de chinois. Ils sont plutôt nombreux en Birmanie, sans doute en raison des vacances de leur Nouvel An. C'est tout de même surprenant de les voir voyager individuellement plutôt qu'au sein de larges et bruyants groupes organisés, mais cela semble leur donner une bien meilleure image auprès des locaux et des autres voyageurs. Cependant ceux qui sont montés sur la stûpa de si bon matin ont presque tous omis d'enlever leurs chaussures, comme il l'est pourtant scrupuleusement demandé à l'entrée de chaque temple.

Quant au spectacle du lever du soleil en lui-même, il est comme attendu assez grandiose. Peu à peu la grosse boule de feu émerge d'une épaisse couche de brume, faisant apparaître une à une les cloches des temples. Des montgolfières flottent dans les airs, ajoutant à la légèreté de la scène.

C'est donc charmés que nous revenons au village, et prenons un taxi en direction du Mont Popa. En route, nous faisons une halte dans une petite ferme. Les paysans fabriquent de l'huile de cacahuètes ou de sésame, ainsi que de l'alcool et du sucre de palme.

Ils récoltent tout cela à la main. Pour donner l'huile, une vache actionne un pressoir en tournant autour de son axe. Pour quatre kilogrammes de cacahuètes broyés, l'animal doit travailler ainsi pendant deux heures. La méthode est d'un autre temps, à plusieurs siècles de notre obsessionnelle rationalité occidentale.

Après une succession de champs très secs, de chemins de terre et de villages aux maisons de bois, nous arrivons au Mont Popa. Le monastère est situé au sommet d'un pic rocheux, le panorama est impressionnant. Il faut gravir quelques 300 marches pour parvenir au sommet, en prenant bien garde à ses affaires car les hordes de singes décharnées sont assez joueuses.

Les bonzes et les fidèles se pressent pour couvrir de billets de grandes statues de Bouddha aux teintes très criardes. Les lumières colorées qui les entourent ne cessent de clignoter. La vue d'en haut est large, mais gâchée par tous les détritus qui jonchent les flancs de la montagne.

Nous déjeunons en revenant en bas, comme depuis dix jours d'un frugal repas. Le menu traditionnel birman se compose généralement d'une inévitable assiette de riz, accompagné d'une soupe et d'un petit assortiment de légumes, épices et currys.

L'ensemble n'est pas très savoureux et surtout la qualité douteuse. Les plats sont la plupart du temps cuisinés seulement le matin, et conservés à l'air et en plein soleil pendant le reste de la journée. Nous avons constamment été malades après ce type de repas, durant tout notre séjour.

Nous rentrons ensuite à Nyang U, et tuons le temps avant de prendre un troisième bus de nuit pour Rangoon.




16/02

Comme les deux précédents que nous avons pris, ce bus s'arrête fréquemment et à l'intérieur la musique est très forte. Il est encore une fois assez difficile d'y trouver le sommeil, et c'est dans un état de fatigue assez critique que nous arrivons à Rangoon aux environs de 5h du matin.

Nous devons effectuer un transfert entre la gare routière principale et une plus petite d'où partent les bus pour Bago, petite ville située à deux heures de route. Un conducteur de taxi essaie en premier lieu de nous tromper sur le prix, puis sur l'endroit où il nous dépose.

Il nous fait d'abord descendre à un croisement où le bus est soi-disant sensé passer, et dès que nous sortons du véhicule un groupe de birmans se jettent sur nous pour nous proposer chacun une combinaison différente.

Point de bus public ici, seulement des pickups bondés. Le ton monte, et finalement notre chauffeur a un sursaut de conscience et nous emmène au vrai départ des bus quelques centaines de mètres plus loin.

Le notre est là et nous nous en tirons heureusement sans trop de frais, mais encore une fois il se confirme que tout se complique dès que l'on veut sortir un peu des itinéraires balisés.

Nous arrivons à Bago en début de matinée, et commençons à visiter la ville. Celle-ci est très polluée, les deux-roues circulent dans tous les sens. Les ordures recouvrent les trottoirs, la plupart des bâtiments sont délabrés.

Nous entrons d'abord dans le monastère de Kha Khat Wain Kyaung, le deuxième plus grand de Birmanie. Il est 11h et quelques 400 moines arrivent en procession dans la salle commune où ils prennent le déjeuner. Ils étaient plus d'un millier avant la « révolution de safran » de 2007.

Les bonzes n'hésitent pas à se mettre en scène devant une foule nombreuse de touristes français, mais surtout chinois, qui les prennent en photo et leur donne du riz, des billets ou des bonbons. La scène est assez dérangeante, et nous avons plus l'impression de se trouver dans un zoo que dans un monastère.

Notre enthousiaste chauffeur nous conduit ensuite à la pagode du serpent, où vit un énorme python birman. Mesurant plus de cinq mètres et âgé de 119 ans, il est considéré comme un animal sacré et trône grassement au milieu d'une montagne de coussins, couvert de billets.

La journée se poursuit ensuite avec la visite de quelques stûpas et autres temples, avec notamment Shwemawdaw Paya, la plus haute pagode du pays (115 mètres), et Shwethalyaung Buddha, le plus grand Bouddha couché (55 mètres de long pour 16 mètres de haut). Malgré ces chiffres nous commençons à avoir l'impression que les bâtiments et les paysages se ressemblent.

Demain onzième et dernier jour en Birmanie.



17/02

Transfert matinal de Bago à Rangoon. Le bus part et arrive à l'heure. Il est raisonnablement bondé, en comparaison de tous les pickups surchargés qui nous doublent sur la voie rapide. Bien souvent des bonbonnes de gaz se trouvent juste derrière le conducteur, et de nombreux passagers sont assis sur le toit, sans aucune protection.

Dans l'hôtel que nous avons réservé en centre ville, les réceptionnistes, déjà adultes, rigolent entre eux, tandis qu'une horde de gamins s'active pour que notre chambre soit prête dans les temps. Nous sommes dimanche et ils travaillent tous d'arrache-pied. Ils ne semblent même pas avoir dix ans.

Nous faisons ensuite le grand tour de la ville en empruntant la ligne de train circulaire. Il est écrit dans le guide que les wagons sont moins pleins le week-end, nombre de personnes en ce dimanche doivent déjà se tenir debout. Des jeunes bonzes, sans manifester la moindre once de gratitude, n'hésitent pas à s'asseoir à la place des personnes âgées qui leur cèdent leur siège.

Les banquettes sont disposées parallèlement à la voie pour laisser un plus grand espace central. Les passagers l'utilisent pour poser leurs fruits et légumes. Il n'y a pas de touristes, ou alors ils ne restent que quelques arrêts seulement. Les locaux empruntent le train pour transporter leurs produits d'un marché à l'autre, ou simplement rentrer chez eux après la journée de travail.

Les rails s'extirpent d'abord des immeubles délabrés de la proche banlieue, pour s'aventurer au milieu de bidonvilles interminables. Les maisons en paille tressée sont minuscules et vulnérables, les rues jonchées d'encore davantage de détritus que n'importe quel endroit du pays.

Les friches industrielles ensuite se succèdent. La prison nationale, une casse automobile où s'entassent des milliers de véhicules. Dans les gares, les marchés et leurs étals insalubres sont installés à même la voie.

Le train sort peu à peu de la ville pour traverser de vastes étendues de cultures inondées de légumes ou de riz. La plupart des paysans travaillent avec de l'eau jusqu'à la taille. Dans de telles conditions, nous nous demandons comment ils peuvent garder la force de sourire et de saluer notre passage.

Les scènes sont souvent dures, mais la lecture de la ville et sa banlieue depuis le train permet d'avoir une approche différente et plus complète de Rangoon.

Quelques centaines de mètres après être descendus aux abords du lac Inya, nous arrivons devant la résidence où Aung San Suu Kyi a été détenue pendant plus de quinze ans. Même si elle n'habite sûrement plus là et que désormais flotte librement le drapeau de son parti, la Ligue National pour la Démocratie, la porte blindée surmontée de hauts barbelés est restée. Il est palpable que le gouvernement ne souhaite pas que l'endroit devienne le lieu de pèlerinage des opposants au régime. Personne d'ailleurs ne s'y arrête.

Je redescends ensuite tranquillement toute la ville à pied, pour en prendre une dernière fois la mesure. En chemin je croise quelques belles stûpas, comme Maha Wizaya ou Botataung Paya. Excentrée et par conséquent beaucoup moins visitée, cette dernière n'en est pas moins impressionnante avec son intérieur intégralement couvert d'or. Les fidèles viennent admirer le cheveu de Bouddha exposé dans une vitrine en ivoire, à peine visible sous une montagne de billets.

Bien fatigué par ces quelques heures de marche, il est temps de prendre un dernier repas puis de se coucher relativement tôt, demain notre avion décolle au petit matin pour Bangkok.



Voici deux vidéos et quelques photos légendées pour essayer de mieux rendre compte de l'atmosphère de Bago et de Rangoon:

La longue file des bonzes qui vont déjeuner au monastère de Bago:
http://youtu.be/ZgNH39_8shA

La vue depuis la ligne de train circulaire autour de Rangoon:
http://youtu.be/vdwvyvXMbEo


28/01

 

Vacances de Noël

 

3 jours à Kuala Lumpur:
C'est sûrement un peu simpliste, mais je pense qu'une image est assez représentative de la capitale malaisienne. Autour de Merdeka Square, la place centrale de la ville où a été proclamée en 1957 l'indépendance du pays aux dépens de l'Empire Britannique, une mosquée, une église, un temple hindouiste et un temple bouddhiste ont l'air de cohabiter sans heurts.

Avec 55% de malais, 25% d'Indiens et 20% de Chinois, la composition ethnique de la population malaisienne est presque aussi large que sa diversité religieuse. La dénomination pompeuse de « carrefour des civilisations » ne semble donc pas si usurpée pour qualifier la Malaisie, ou du moins sa moderne capitale.

Un autre trait qui frappe le visiteur, ce sont encore une fois les énormes contrastes de cette ville. Au pied des tours jumelles de la puissante compagnie pétrolière nationale Petronas, un temps les tours les plus hautes du monde avec 452 mètres, se dressent derrière des fils barbelés des immeubles délabrés où s'amoncellent les détritus.

Les immenses centre commerciaux aseptisés et sur-climatisés côtoient de minuscules supérettes aux odeurs de poisson pourri ou de viande en décomposition. Les rails du métro automatique et ultra-moderne surplombent les bords tagués et sales du canal d'une rivière boueuse. A Kuala Lumpur comme à Hong Kong, les plus riches sont très riches et les plus pauvres sont très pauvres.

J'ai eu la chance d'avoir une longue discussion animée avec Ridz, un malaisien rencontré sur un marché. Il me confirmait l'harmonie de la société malaisienne, au-delà de tous ses mélanges. Mais si ce jeune trentenaire psychologue de formation m'a abordé aux détours des étals d'un marché du quartier chinois, c'est pour me présenter la thèse du livre qu'il est en train de rédiger.

Après des centaines d'interviews qu'il a réalisées auprès de touristes « blancs » et d'asiatiques de tous horizons, il est parvenu à la conclusion que l'Asie s'occidentalise suivant un phénomène irréversible.

Selon lui, la cause principale serait la volonté manifestée par les asiatiques bien éduqués, occupant des emplois importants ou appartenant aux classes supérieures, d'imiter les standards occidentaux perçus comme l'expression d'un modèle indéfectible. Cela se manifesterait par l'usage de l'anglais au profit des autres langues nationales, l'obsession de s'afficher avec des « blancs », ou encore le fait de consommer de plus en plus de marques occidentales.

Les asiatiques seraient alors victimes d'un complexe d'infériorité plus ou moins inconscient, qui les pousseraient à vouloir ressembler le plus possible aux occidentaux, en signe de réussite sociale. D'après mon interlocuteur, cette attitude serait due pour 40% à la colonisation, le reste provenant davantage d'une intériorisation de ce complexe d'infériorité que propagent les classes privilégiées les plus influentes.

Ridz pense que le phénomène serait trop avancé pour qu'un retour en arrière soit envisageable. D'ici quelques décennies l'Asie serait entièrement occidentalisée. Le seul moyen d'enrayer le processus serait que les « blancs » eux-mêmes enjoignent les asiatiques de ne pas les imiter. Il faudrait qu'ils valorisent leur culture, pour lui donner une importance que les seuls asiatiques ne suffiraient plus à lui donner. Car en plus d'avoir réussi, désormais pour avoir un certain crédit en Asie il faudrait « être blanc ».

Concrètement, à l'orée de mon périple asiatique, il me conseille de discuter au maximum avec des locaux afin de montrer mon intérêt pour les cultures traditionnelles, et de refuser catégoriquement toute photo avec des inconnus en leur expliquant que c'est « stupide ».

Sa thèse me semble toutefois excessive puisqu'il généralise sur toute l'Asie, alors qu'il ne s'est jamais aventuré ni en Inde, ni en Chine ni au Japon, mais a seulement voyagé dans les pays de la péninsule indochinoise, en Thaïlande, Malaisie et Indonésie (où même s'il ne pouvait pas comprendre la langue il me dit avoir ressenti une identité commune, du fait notamment de la similarité des paysages et d'une même « façon de cuire le riz »).

En voyageant en Chine et en discutant avec beaucoup de locaux à Hong Kong, j'ai pu ressentir une véritable identité chinoise, authentique et non tournée vers une imitation quelconque de l'Occident. Un exemple des plus illustratifs et très présent dans le début public de l'ancienne colonie britannique, demeure l'abandon progressif de l'anglais au profit du cantonais comme langue officielle.

De même dans la suite de mon périple, en Indonésie puis en Thaïlande, mis à part dans les endroits les plus touristiques où les occidentaux sont majoritaires, je n'ai pas ressenti cette occidentalisation. Bien au contraire, j'ai plutôt perçu la subsistance d'un mode de vie authentique et de traditions locales fortes.

Cette discussion très engagée a au moins eu le mérite de me faire réfléchir sur la pertinence de mon voyage. Je tire cependant de ce périple une conclusion plus optimiste que mon interlocuteur malaisien, qui déclarait qu'occidentaux et asiatiques proviennent de cultures si différentes qu'ils ne peuvent se comprendre qu'à 20% maximum, et que leurs rapports sont forcément biaisés par le tourisme.



11 jours à Bali:
Bali est la vitrine touristique de l'Indonésie. Essentiellement pendant les deux mois d'été et les vacances de Noël, occidentaux aussi bien qu'asiatiques viennent profiter des nombreux charmes de l'île. J'étais un peu sceptique en y arrivant en plein dans l'un de ces deux temps forts de l'année, mais heureusement j'ai été bien vite rassuré.

Dès notre première nuit sur la Péninsule de Bukit, nous avons trouvé un hôtel presque vide. La plupart des touristes se massent dans les grands complexes hôteliers de Kuta, Sanur ou encore Nusa Dua, afin d'être au plus près des plages du sud de l'île, de ses principaux spots de plongée, et des belles vagues de l'Océan Indien qui font tant rêver les surfeurs. Presque tout le reste de Bali est heureusement épargné par le tourisme de masse et ses excès, au moins de mi-octobre à mi-mars durant la saison des pluies.

Ce facteur est à prendre en compte pour tous ceux qui visitent Bali au cours de cette période. Les commerçants des marchés, chauffeurs de taxi et autres hôteliers, demandent systématiquement les prix qui s'appliquent en haute saison. Après quelques minutes de marchandage, ils revoient inévitablement leurs exigences à la baisse parce qu'ils n'ont que peu de clients.

L'économie balinaise est de plus en plus tournée vers le tourisme depuis trois décennies. Ces professionnels ont trop besoin de l'argent des touristes pour refuser de baisser leurs prix, surtout qu'il suffit de faire jouer une concurrence qui ne manque pas pour trouver moins cher.

Même pour les locaux, tout est négociable à Bali. Il est souvent clairement affiché que les tarifs sont différents pour les indigènes et les étrangers, mais il s'avère tout de même utile de demander un ordre de prix à un balinais avant de se lancer dans la moindre négociation. Les sommes initialement demandées sont tellement exorbitantes qu'il est difficile de se rendre compte de la valeur réelle d'un bien ou d'un service, surtout avec le taux de change actuel de la roupie indonésienne (12 000 roupies équivalent à 1€). Il n'est pas rare de diviser les prix finaux par dix.

Bien qu'un peu rébarbatif à la longue, le marchandage fait montre de la chaleur et de l'enthousiasme balinais. Les négociations se passent toujours avec le sourire et dans la bonne humeur, elles sont comme un jeu. Une fois un prix fixé, il est toujours respecté, et un chauffeur de taxi pourra passer une heure à chercher une adresse pour déposer son client au bon endroit.

A chaque fois qu'un touriste leur demande son chemin, les locaux lui répondent gracieusement et tentent de se faire comprendre, soit par les gestes, soit par les quelques mots d'anglais (voire même de français) que de façon surprenante tous maîtrisent plus ou moins.

Un autre trait important de la vie balinaise demeure la religion. Seule île hindouiste de l'archipel indonésien, la ferveur religieuse et la volonté de l'afficher sont très présentes. Les représentations de divinités sont abondantes, les processions quotidiennes. Tous les matins, les maisons, bus et autres scooters sont bénis et ornés d'un bouquet de fleurs ou de quelques grains de riz déposés sur une feuille de bananier.

Dans le même temps, les balinais n'hésitent pas à exploiter cette spécificité en rendant payant l'accès aux principaux lieux sacrés. Ils peuvent également faire croire qu'un guide (payant bien sûr) est obligatoire pour accéder à certaines parties des temples en raison d'une quelconque « cérémonie », alors qu'en réalité il n'en est rien.

Les paysages naturels de Bali sont magnifiques. La majorité de l'île est couverte de rizières, vastes champs ou successions de petites terrasses suivant le terrain. La végétation est luxuriante, les bosquets de palmiers fournis et les fleurs très colorées. L'île compte également de nombreux volcans, qui donnent naissance à des panoramas impressionnants. Le mont Agung culmine notamment à plus de 3 000 mètres au dessus du niveau de la mer.

Nous avons cependant trouvé le snorkelling (plongée avec masque et tuba) assez décevant. A la moindre vague, le sable noir de la majorité des plages assombrit encore davantage une eau déjà rendue bien trouble par la pollution et la présence de nombreux sacs plastiques ou autres déchets.

Cette pollution provient d'un tourisme mal contrôlé, mais également d'un manque évident d'infrastructures. Le système de traitement des ordures est très peu développé, et dans les villages les habitants brûlent encore leurs déchets au lever du soleil ou à la tombée de la nuit. De même, mis à part dans le sud de l'île, les routes sont en mauvais état et les transports publics rares, lents et délabrés. L'argent du tourisme ne semble pas toujours profiter au secteur public.



7 jours à Java:
Plus sale, polluée et sombre que n'importe quel endroit de Bali, c'est comme si Gilimanuk était déjà une ville javanaise. L'agglomération où se trouve le terminal de ferry pour se rendre à Java, prépare en quelques sorte le passager à ce qu'il va trouver sur l'autre rive.

La pauvreté est beaucoup plus palpable que sur le reste de « l'île des dieux », où une solidarité familiale s'exerce de manière très forte. Les membres d'une même famille vivent encore au sein de la même warung (regroupement de maison en un bloc commun).

Autour du ferry, le spectacle des gamins qui se battent dans l'eau polluée pour attraper les pièces que leur jettent les touristes depuis le bateau est affligeant.

Le contraste est encore plus saisissant en débarquant à Java. Il est évident que les touristes sont plus rares. Très peu de locaux parlent anglais, et les standards des logements sont loin d'être les mêmes, avec draps sales, cafards dans la chambre et rats qui grattent aux murs.

Un autre aspect majeur de la différence entre les deux îles est religieux. Le muezzin qui appelle les fidèles à la prière au beau milieu de la nuit, ainsi que les femmes voilées, rappellent que l'Indonésie est en passe de devenir le premier pays musulman du monde. Mis à part ces deux éléments, et une fois un hôtelier qui nous a refusé une chambre parce que nous n'étions pas un couple marié, l'islam est assez discret.

La pression anthropique est toutefois un point commun entre les deux îles. Bali compte presque 4 millions d'habitants pour une superficie de 5 600 kilomètres carrés (les deux tiers de la Corse), tandis que Java contient plus de la moitié des habitants de la quatrième nation la plus peuplée du monde, soit près de 140 millions de personnes.

De l'aube jusqu'au crépuscule il y a un trafic très dense sur les routes, avec notamment un nombre impressionnant de scooters. Des gens plus ou moins oisifs attendent toujours sur le bord de la chaussée. Le taux de chômage n'est pourtant « que » de 6,6%, car il existe énormément de petits boulots. Mettre les courses dans des sacs plastiques, déchirer des tickets d'entrée, ou encore appuyer sur un bouton d'ascenseur, peut devenir un métier.

Alors qu'à Bali nous avions plutôt bénéficié des avantages d'un tourisme développé, à Java nous avons expérimenté le contraire. L'offre touristique atteint tout juste la demande. C'est pourquoi aucun prix n'est négociable, et les touristes sont encore plus la cible d'arnaques qu'à Bali.

Lors de notre premier trajet en bus, nous avons par exemple fait l'erreur de payer notre ticket auprès du seul jeune homme qui parlait anglais, et qui nous avait gentiment fait monter dans le bon bus. Arrivé à mi-parcours, le contrôleur nous indique qu'il faut prendre une correspondance pour rallier notre destination finale.

Or une fois dans le second bus le chauffeur nous demande de payer de nouveau, car le contrôleur du premier bus lui dit que nous avons payé uniquement pour aller jusqu'ici et pas jusqu'au bout. Il sait pertinemment que c'est faux, puisque s'il n'avait pas reçu notre argent il serait venu nous le réclamer. Le ton monte et nous sommes contraints de descendre, et d'attendre dans cette gare routière hostile le bus suivant.

Les bus et les trains indonésiens sont un peu comme le métro parisien, avec des mendiants, des groupes de musique ou des vendeurs à la sauvette qui montent à chaque arrêt. Ils se retrouvent tous dans les gares, où il est également fréquent de croiser des infirmes, culs-de-jatte, malades tuméfiés ou couverts de pustules. Ils sont nombreux en Indonésie, sans doute en raison d'un système d'hygiène et de santé peu performants.

Dans le cas de notre escroquerie, nous avons pu nous rendre compte que la police n'est pas d'un grand secours. Les agents ne parlent pas anglais, et cherchent davantage à rigoler entre eux plutôt qu'à comprendre notre problème.

De même, une fois je me suis fait arrêter par un policier pour avoir pris un sens interdit en scooter. Grandes bottes noirs, uniforme brun, grosses lunettes de soleil et chapeau mexicain, il m'a interpelé en criant d'une voix rauque. De façon excessivement autoritaire, il m'a demandé de me garer sur le côté, de couper le moteur et de lui présenter mon permis de conduire. Après cinq minutes d'auscultation et quelques questions étranges, il s'est mis à rire de mon nom avec ses collègues et m'a laissé partir sans autres frais.

La perception indonésienne des règles est assez intéressante, et peut devenir savoureuse lorsqu'ils se lancent dans la justification de l'injustifiable. Une fois nous sommes montés avec des locaux sur des scooters pour rallier deux villes, ils ne portaient pas de casques. Comme nous avions démarré juste devant un policier, je demande subrepticement à mon conducteur si le port du casque est également obligatoire dans cette partie de l'île. « Oui c'est obligatoire, mais le policier est un copain... il m'a dit que c'était bon si je faisais attention... et puis ça descend... »!

Arpenter les routes indonésiennes, et notamment prendre un bus de nuit, permet sans doute de mieux comprendre le pays. Tandis que l'activité dans les villes s'arrête assez tôt, la nuit tombant à 18h toute l'année, même à deux heures du matin le trafic routier est toujours très dense.

Le chauffeur de notre bus public n'aura lâché ni sa cigarette ni le volant pendant 9h d'affilée. Il passe tout le trajet à doubler des gros camions ou des grands bus climatisés presque vides, comme s'il chevauchait une mobylette. On s'arrange, parfois on se croise à trois de front, parfois en face on s'arrête, et il ne semble pas se poser le moindre problème.

D'après les locaux et la plupart des guides de voyage, Java présente deux points d'intérêt touristiques majeurs: le volcan du Mont Bromo et la ville de Yogyarkarta. Le premier, culminant à plus de 2000 mètres d'altitude et toujours en activité, offre effectivement des panoramas irréels assez impressionnants. Le calme et la sérénité du paysage sont seulement troublés par le vacarme des jeeps qui transportent les hordes de touristes au sommet.

Quant à Yogyakarta, la capitale culturelle de l'Indonésie, c'est une ville très plaisante. Les touristes indonésiens sont légions, mais les occidentaux plutôt rares. Du moins à en croire un vendeur de tissu qui nous dit avoir appris l'anglais et le français « pour son plaisir », plus que par besoin. Beaucoup d'ailleurs parlent un très bon français, après avoir suivi les enseignements de l'Alliance française de la ville.

Personne ne tente de nous arnaquer sur les prix, et plusieurs fois des passants se proposent pour nous faire visiter gracieusement leur quartier, ou bien nous accompagner jusqu'à notre destination afin que nous ne nous perdions pas.

Si l'ambiance de la ville est très plaisante, les principaux lieux touristiques des alentours sont assez décevants. Le palais du sultan (le fameux Kraton) est banal et ses collections assez pauvres. Les temples de Borodubur et Prambanan, situés respectivement à 40 et 15 kilomètres de la ville, ont été largement rénovés et aménagés pour les touristes, au détriment de la préservation de l'authenticité du lieu. Pour des sites dont le premier est notamment inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO, les explications fournies sont très pauvres, se résumant à quelques lignes issues d'une traduction Google peu compréhensible.

Enfin, notre périple indonésien s'achève à Jakarta, la capitale économique et politique de l'archipel. L'agglomération de 14 millions d'habitants est fidèle à sa réputation. Sale, hyper-polluée et peu accueillante.

La vue du haut des 132 mètres de la colonne de l'indépendance offre le triste panorama d'une ville noyée sous la grisaille. Les musées nationaux proposent des explications bien souvent incomplètes, ou très simplistes. Alors qu'il pleut tous les jours pendant quatre mois de l'année, le système d'irrigation est toujours défaillant et les précipitations rendent les rues de la ville boueuses. C'est donc crasseux et trempés jusqu'aux os que nous prenons l'avion pour Phuket.



Quatre jours à Phuket:
Dès la sortie de l'aéroport, la singularité de la Thaïlande se fait sentir. Des portraits du roi en tenue d'apparat sont disséminés un peu partout. Les panneaux et les affiches sont tous écrit en alphabet thaï. Les bâtiments sont de couleurs très vives, les tenue vestimentaires extravagantes, la télévision nationale diffuse des émissions de pop thaïlandaise. Le tout donne un ensemble assez kitsch. Les locaux sont également beaucoup moins avenants avec les touristes qu'en Indonésie. Le sentiment d'être simplement une vache à lait est palpable.

Nous logions pourtant dans la ville de Phuket, où les touristes sont heureusement nettement moins nombreux qu'à Padong Beach. Cette ville complétement artificielle est écœurante, avec ses immenses complexes hôteliers luxueux. Tous les commerçants et les chauffeurs de taxi se sont mis d'accord sur des prix très élevés, impossible de négocier.

Il n'existe pas de vie locale à Padong. Les thaïlandais sont ici uniquement au service des touristes, occidentaux ou riches asiatiques. Dans une ambiance des plus malsaines, ils proposent massages, DVDs ou t-shirts aux slogans provocateurs. Nous nous faisons accoster plusieurs fois pour des propositions douteuses.

Avec tous ces touristes et cette ville complétement occidentalisée, quel est l'intérêt de parcourir plus de 10 000 kilomètres pour se retrouver sur cette plage bondée? Seulement le soleil et la possibilité de se baigner dans une eau à 30°C en plein mois de janvier? A part l'appareil photo, qu'est-ce qui voyage?

Mis à part des devises, que s'échange-t-il entre les touristes et la population locale? Les premiers ne sont-ils finalement pas là pour exploiter les ressources des seconds? Souvent difficile à établir, la nuance entre voyage et tourisme est ici très nette.

Le tourisme de masse n'est malheureusement pas cantonné à Padong Beach. Au cours d'une excursion en bateau autour des îles Phi Phi, nous nous sommes retrouvés littéralement au milieu d'une autoroute.

Toutes les embarcations se retrouvent en plus au mêmes endroits, à commencer par la minuscule plage de Maya Bay, célèbre pour avoir accueilli le tournage du film « La Plage ». Presque impossible de se garer et de descendre sur cette plage surpeuplée.

Prochain arrêt, l'anse de Phi Phi Don. Snorkelling au milieu des bateaux et des hordes de plongeurs. Dans ces conditions, je me demande encore comment nous avons pu voir autant de poissons, et de tant d'espèces différentes. Le sable blanc des fonds rend l'eau bleu turquoise, couleur carte postale.

Mais si la pollution n'est pas directement perceptible, elle a tué tous les coraux. On a parfois l'impression de plonger au milieu d'un cimetière marin. Tant que le tourisme continuera tous azimuts et qu'il n'y aura pas de restrictions sur le nombre de visiteurs de ce site naturel exceptionnel, sa lente destruction n'est pas prête de s'enrayer.



Pour ne pas conclure:
En guise de conclusion, j'aimerais parler de ce duo de voyageurs russes assez insolite. Je ne serais pas aussi pessimiste que mon ami malaisien, mais lorsque l'on reste aussi peu de temps à chaque endroit, le microcosme du monde du voyage n'est-il finalement pas le seul qu'il nous est donné de connaître?

Ils s'appellent Vadim et Lydia. Le frère et la sœur. Lui sur la trentaine, elle paraissant beaucoup plus âgée. Nous les avons rencontrés en descendant du Mont Bromo, avant de les retrouver dans le bus pour Yogyakarta.

Vadim était ingénieur électricien lorsqu'il a quitté sa ville natale du sud de la Russie. Pour pouvoir partir, il a vendu sa voiture et travaillé d'arrache-pied pendant un an. Avec sa sœur, ils ont débuté leur périple en septembre, par les Philippines. Ils se sont ensuite dirigés vers l'île de Bornéo, la partie malaisienne puis indonésienne, et ont alors commencé à remonter presque tout l'archipel indonésien, des îles Komodo jusqu'à Java.

Lorsqu'ils ont pris la route, ils ne connaissaient que la langue de Tolstoï. Vadim arrive maintenant à se faire comprendre en anglais et en indonésien. Passionné de yoga, il donne parfois des cours lorsqu'ils rencontrent des personnes intéressés. Tous les deux fascinés par la sagesse orientale, ils visitent beaucoup de monastères et autres lieux de culte.

Ils voyagent avec dans leurs bagages une toile de tente, qu'ils essaient d'utiliser au maximum pour économiser les nuits d'hôtel. Ils alternent alors entre des journées où elle veille sur leur campement pendant que lui visite, et d'autres jours où ils font le contraire. Cela leur laisse le temps de méditer, me dit-il.

Vadim me demande des conseils, même si les 100 pages de son unique guide de voyage couvre quatre pays, il ne sait rien des autres. Ils ont prévu de traverser Java, avant de passer par Singapour pour rejoindre la Malaisie. Rester quelques semaines là-bas, remonter vers la Thaïlande, puis se diriger vers la péninsule indochinoise. Passer en Chine, et enfin rentrer en Russie. A leur retour en mai, Vadim a pris la décision d'épouser la femme qui partageait sa vie avant qu'il parte.

En arrivant à Yogyakarta à 4h du matin par un bus de nuit inconfortable, nous étions prêts à partager un taxi pour rallier un hôtel en centre ville à moindre frais. Mais pour eux pas question de taxi, ils préfèrent prendre le premier bus public deux heures plus tard. Nous attendons finalement avec eux, et nos chemins ne se séparent qu'au moment où nous cherchons une chambre décente, tandis qu'ils regardent pour un endroit où planter leur tente.

Touristes, voyageurs, la différence est peut-être là.




18/12

 

Iles de Hong Kong

 

Cheung Chau:
Cheung Chau est la première que j'ai visitée, peu après mon arrivée. Elle est surtout connue en tant que station balnéaire, abritant ce que certains guides n'hésitent pas à qualifier de plus belles plages de Hong Kong. Il faut bien dire que j'ai été un peu déçu par l'endroit.

Certes le trajet en ferry est pittoresque, tant la grosse embarcation se fait secouer dans les remous du port. Certes depuis le bateau qui s'éloigne de l'embarcadère, la vue est imprenable sur la ville. Le trajet promet énormément, jusqu'à l'arrivée dans le petit port de pêche aux couleurs chatoyantes.

La désillusion n'en est que plus grande lorsque le pied foule la terre ferme de l'île. L'artère principale du village qui mène à la plage consiste presque intégralement en boutiques qui proposent tout l'équipement du touriste moyen, des bouées gonflables aux beignets de fruits en passant par les traditionnelles tongs.

Au bout de ce chemin, la plage apparaît de prime abord agréable, raisonnablement bondée. Les raisons se révèlent vite. Le sable est si brûlant qu'il est presque impossible de marcher à pieds nus, d'autant qu'il est couvert d'une multitude de petits bouts de verre. Ce revêtement décourage les parties de football, de même que le vent de jouer au badminton.

Mais c'est surtout le contact avec l'eau qui est des plus désagréables. Sa chaleur ne semble pas saine, quelques poissons morts flottent à la surface. La couleur tire davantage sur le rouge que sur le bleu turquoise, le baigneur ne distingue même pas sa main 30 centimètres sous la surface. Et puis si l'envie lui prend de nager, il sera de toute façon bien vite stoppé par un filet anti-requins.

Dans ces conditions, l'après-midi plage n'est pas très agréable et tourne finalement assez court. La visite des petites ruelles du village s'avère plus intéressante, au milieu des marchands de fruit et de boissons. Le marché couvert de la place centrale est très authentique, les grands morceaux de viande suspendus dans la chaleur dégagent une forte odeur. Sur le front de mer, les restaurants de fruits de mer rivalisent d'ingéniosité pour mettre en valeur leurs aquariums remplis des poissons et crustacés les plus divers.

Depuis le ferry du retour, Cheung Chau a tout de même belle allure dans la lumière du jour déclinant. Des amis qui y sont allés m'ont assuré que l'eau et la plage était beaucoup plus propre que lorsque je m'y suis rendu. Il faudra revenir à Cheung Chau.



Lamma Island:
De la plage de Cheung Chau, les hautes cheminées d'une usine se dessinent au loin. La centrale électrique qui alimente toute la ville de Hong Kong, sur l'île de Lamma Island. Comme sa voisine, cette dernière est assez décevante.

Là aussi, la description du guide National Geographic avait pourtant l'air alléchante: « Ses villas et ses appartements perchés à flanc de colline au dessus de la mer, de même que ses restaurants au bord de l'eau lui confèrent une allure quasi méditerranéenne. »

Une atmosphère que nous avons eu du mal à retrouver en débarquant à l'Est de l'île par temps gris. Le village de Sok Kwu Wan nous accueille, avec ses restaurants de fruits de mer et ses boutiques de touristes. C'est ici que débute le chemin de randonnée qui relie l'autre côté de Lamma.

Le chemin de béton s'élève et serpente dans les collines verdoyantes. Des tombes de pierre se devinent derrière la végétation épaisse. Regroupées parfois pour former comme un grand cimetière, elles forment en réalité une plate-forme assez vaste, toujours orientée suivant la même direction pour bénéficier d'un bon feng shui.

Les hectomètres défilent, sans rencontrer d'intérêt majeur si ce n'est de retrouver les araignées aux longues pattes déjà croisées à Sai Kung. Quelques habitations essaiment de temps à autre, surtout en bord de mer. Toute la partie centrale de l'île est autrement assez déserte.

Ce qui est en revanche assez remarquable sur Lamma Island, c'est la relative pollution de son environnement. Au milieu des fourrés, il n'est pas rare de trouver un sac poubelle, une télévision ou des emballages de polystyrène. Il est également difficile d'échapper à la vue sur des infrastructures industrielles, que ce soient des fermes piscicoles, des carrières d'extraction de minerais ou bien la fameuse centrale électrique et ses imposantes cheminées repérables de si loin.

La partie Ouest de l'île, avant de regagner l'embarcadère de Yung Shue Wan, est plus animée. Les habitations, majoritairement de style occidental, sont nettement plus rapprochées. Les expatriés se massent en nombre aux terrasses des bars ou des restaurants de fruits de mer, dans lesquels les prix des plats sont assez élevés.

Nous repartons donc de Lamma assez déçus, mais finalement assez soulagés d'être revenus sains et sauf puisque c'est le lendemain-même de notre excursion qu'un ferry a sombré au large de ses côtes.



Lantau Island:
Enfin s'impose pour achever cette petite balade touristique une petite visite à Lantau Island, la plus grande île de l'archipel de Hong Kong.

Longtemps demeurée sauvage, Lantau a échappé à l'urbanisation agressive jusqu'au début des années 1990. La partie Sud n'a quasiment pas été touchée, mais le Nord de l'île s'est largement développé avec la construction du nouvel aéroport international de Chek Lap Kok, dont les premiers passagers ont été accueillis en 1998. Une ligne de métro permet de le rallier directement au centre-ville en un peu plus d'une demi-heure.

Elle permet également d'accéder au terminal du téléphérique qui monte directement jusqu'au Monastère de Po Lin et son imposant Bouddha. Les touristes sont nombreux le dimanche, et il nous a fallu patienter plus d'une heure et demie avant de pouvoir acheter les billets.

Le panorama depuis les cabines vaut cependant le coup, puisqu'il offre un angle de 360° sur l'ensemble de l'aéroport, ainsi que le canal et les immeubles de la ville nouvelle de Tung Chung en contre-bas. La vue est également imprenable sur les courbes du Lantau Trail, qui parcourt toute l'île sur plus de 70 kilomètres.

Les contours de l'immense statue représentant Bouddha en position assise, la plus grande du genre avec ses quelques 26 mètres de haut, se dessinent de plus en plus précisément. Le téléphérique arrive directement sous la statue, dans un petit village artificiel bâti spécialement pour accueillir les touristes. L'atmosphère rappelle un peu celle d'un parc d'attractions, avec des animations spéciales au nom évocateur tel que « marcher avec Bouddha ».

Devant le monastère de Po Lin, les fidèles parviennent quand même à trouver un peu d'espace au milieu des flots de touristes pour prier face à la gigantesque statue. La foule est nombreuse à gravir l'escalier aux 140 mètres de dénivelé, pour parvenir au plus près du Bouddha. Du sommet de la petite colline la vue est bien dégagée, permettant de distinguer de petites îles au Sud et de nombreuses montagnes sur les autres côtés.

La majorité des touristes qui visitent Lantau redescendent ensuite pour prendre un bus qui les emmènent au petit village de Tai O, à l'embouchure du Delta de la Rivière des Perles. Petit port de pêche, cette activité traditionnelle subsiste encore aujourd'hui. Le village a su cependant tirer parti de sa position privilégiée, dans les années 1980-90 avec la contrebande de téléviseurs et autres appareils électroniques avec la Chine continentale, remplacée aujourd'hui par le tourisme de masse.

De très nombreux marins mettent désormais à profit leurs petits bateaux à moteur (surnommés kaido) pour proposer des excursions de quelques minutes dans les canaux du village d'abord, puis au large pour espérer rencontrer l'un des 200 dauphins roses survivants de l'estuaire, qu'il est possible d'apercevoir « quelquefois » à proximité du port, d'après les tickets de bateau.

Ce n'était malheureusement pas le cas lorsque nous y sommes allés. Une petite promenade piétonne au détour des rues du village avant de quitter Lantau nous permet de sortir un peu des artères touristiques pour entrevoir un peu plus la vie locale. Une mission relativement difficile tant le tourisme a été privilégié ces dernières années dans cette partie de l'île.



06/12
 

Cinq jours à Pékin


Premier jour:
7h30, départ de l'auberge de jeunesse. Les hutongs, petites ruelles du vieux Pékin, sont déjà bien agitées. Le rigoureux hiver a déjà fait son apparition, la température avoisine les 0°C. Ici point d'occidentaux, surtout à cette heure-là. Les habitants, jeunes comme moins jeunes, se déplacent majoritairement en vélo dans les artères étroites.


Il est très onéreux d'acquérir une voiture à Pékin, seuls les plus riches peuvent s'offrir ce luxe et en possède généralement plusieurs, nous expliquait la veille le propriétaire de l'auberge venu nous chercher à l'aéroport. La politique du gouvernement est également à la réduction du nombre de deux roues motorisés: il n'y a qu'une dizaine de milliers de véhicules de ce type encore autorisés à circuler dans les rues de la capitale.

Le trafic est bruyant, seulement quelques reniflements caverneux émergent du flot silencieux des passants. Les odeurs sont fortes. Fumée de pain à la vapeur, crêpes à la saucisse, viande crue à même les étals de bois. Les commerçants du marché ont leurs stands, et souvent leurs voitures, uniquement remplis d'un seul produit, raisins, cacahuètes, choux ou encore poireaux.

Un peu plus loin, sur un grand axe, les voitures n'hésitent pas à franchir l'intersection en dépit du feu rouge. Autour d'un lac, quelques groupes de personnes âgées s'exercent au taiji. Les mouvements sont plus ou moins contrôlés, les attitudes toutes très personnelles.

Je retrouve ensuite mes compagnons de voyage pour prendre le bus en direction de Tian'anmen. La plus grande place du monde est vraiment aussi impressionnante que nous l'imaginions. La discipline chinoise également. Congrès du Parti oblige, il est impossible de traverser la place. Il faut prendre le métro pour la contourner, et arriver vingt minutes plus tard à l'autre bout, juste devant la Cité Interdite.

Nous n'empruntons pas l'entrée principale mais abordons le site de côté, la file de touristes chinois est bien trop longue. Une fois à l'intérieur, cette masse heureusement se dilue dans l'immensité du Palais. Une immensité vide. Les cours s'enchaînent, leur pavé blanc toujours aussi nu. Les pièces des innombrables bâtiments rivalisent de sobriété. Un promontoire, un trône. Parfois une horloge, parfois un lustre.

Les rares collections se trouvent dans les parties d'habitation, plus intimistes. Elles restent relativement pauvres et très peu mises en valeur. Des questions se posent inévitablement: était-ce aussi spartiate autrefois? Les objets d'époque ont-ils été pillés? détruits? Est-ce une politique délibérée de ne pas les montrer?

La fascination pour le lieu n'en est qu'augmentée, l'impression de démesure accentuée. Il est 16h30 lorsque les portes de la Cité Interdite se referment.

Lors d'un tardif déjeuner, je me rends compte de toute la difficulté de la maîtrise de la langue chinoise. Je me suis adressé au serveur en mandarin pour lui demander quelques informations basiques, mais même après plusieurs répétitions il n'a pas compris. Les tons et la prononciation sont primordiaux puisqu'ils peuvent changer complétement le sens d'un mot. Il faut aussi que je m'adapte au parler courant, bien différent des formules châtiées que j'ai apprises dans les cours que je prends depuis deux mois, et qui ne sont pas du tout usitées à l'oral.

Nous nous dirigeons ensuite vers le Théâtre Rouge pour assister à un spectacle de kung-fu. Les chorégraphies sont réglées au millimètre, certaines figures sont très impressionnantes, notamment celle de très jeunes garçons âgés d'une douzaine d'années tout au plus. L'ensemble est plaisant à regarder, mais assez kitsch et fortement romancé.

Petit verre dans un bar dans le quartier animé de Hou Hai pour conclure cette riche première journée, qui s'achève après un interminable labyrinthe dans les hutongs. Les distances sur les cartes sont trompeuses, deux stations de métro étant généralement espacées de plus d'un kilomètre. Il est grandement l'heure d'aller se coucher lorsque nous retrouvons enfin l'auberge. Demain départ avant le jour pour la Grande Muraille.



Deuxième jour:
Réveil aux aurores, avant même 6h du matin. Un chauffeur de mini-bus vient nous chercher à l'auberge. Le sandwich et le café avec lesquels il nous accueille nous font le plus grand bien.

Une fois tous les autres randonneurs à bord, notre véhicule s'engage sur le périphérique. Il est à peine 7h, le trafic est déjà très dense. Les bouchons permettent aux laveurs de pare-brises, qui attendent dans le froid avec leur seau sur la bande d'arrêt d'urgence, d'offrir leur service lorsque les voitures sont bloquées.

A mesure que la ville s'éloigne, les bas-côtés changent de décor. Des longs arbres, la forêt, des usines, des entrepôts. Sur une sorte de bande cyclable qui s'insère comme une quatrième voie sur la chaussée, des passants nombreux sont sur le chemin de l'école ou du travail, à pied ou à vélo. Rien ne les séparent des véhicules lancés à pleine vitesse. Pas même une glissière de sécurité ou un trottoir.

Au bout de deux heures de trajet, notre bus s'arrête dans le brouillard, comme au milieu de nulle part. Il nous reste encore une bonne heure avant d'atteindre la Grande Muraille, par de petites routes de montagne verglacées. En l'espace de quelques kilomètres, nous croisons une voiture encastrée dans un camion, une autre en travers de la route, ainsi qu'un 36 tonnes et sa cargaison à moitié suspendus au-dessus d'un précipice. Heureusement notre chauffeur est prudent et nous arrivons sains et saufs à Jinshanling.

Après nous avoir présenté le parcours, la guide nous laisse débuter seuls l'ascension qui mène à la Grande Muraille. La vue se découvre à mesure que nous prenons de l'altitude, de plus en plus impressionnante. C'est l'apothéose lorsque nous arrivons sur le fameux édifice.

La visibilité sur toute la vallée enneigée est simplement parfaite, le soleil s'y reflète majestueusement. Quelle chance nous avons de nous trouver à cet endroit, et de pouvoir contempler ce panorama incroyable dans des conditions si idéales! Le regard ne peut porter assez loin pour espérer entrevoir la tête et la queue de cet immense dragon de pierre qui coiffe les crêtes des montagnes.

Je pense que les photos valent mieux qu'une longue description pour se rendre compte de tous les sentiments qu'il est possible d'éprouver.

Après une descente par un petit sentier enneigé adjacent aux fortifications, et un repas chaud bien mérité, notre bus prend le chemin du retour. Des images irréelles plein la tête, le trajet passe beaucoup plus vite qu'à l'aller. En arrivant à Pékin, les bouchons sont trop importants cette fois, nous préférons descendre à la première station de métro venue.

La soirée est quant à elle beaucoup plus décevante. Le centre de la place Tian'anmen est toujours inaccessible. Tout semble pousser les touristes vers Wangfujing, l'un des quartiers les plus touristiques de Pékin. Dans la rue du même nom, des stands proposent de déguster serpents, scorpions ou encore étoiles de mer. Tout semble uniquement attraction et arnaque, les vendeurs essaient de nous garder la monnaie ou de nous rendre de faux billets.

A 22 heures, les magasins ferment tous progressivement. Dans le quartier pourtant réputé animé de Dongzhimen, l'ambiance est des plus mornes. 23 heures passées, le service des métros est terminé et nous n'avons plus d'autres choix que le taxi pour rentrer. Les chauffeurs le savent bien.

Profitant de notre incompréhension du mandarin, ils semblent s'être entendus pour faire payer un tarif minimum de 100 yuans à tous les étrangers, là où des locaux s'en tireraient pour 30 maximum. L'hospitalité chinoise semble avoir ses limites dès qu'il s'agit d'argent...




Troisième jour:
Aujourd'hui Tombeaux des Ming. Nous voulions aller à celui des Qing, censé être plus impressionnant, plus loin et donc moins fréquenté. Devant la difficulté d'accès, nous avons dû renoncer et se rabattre sur les Ming. Un bus part du centre-ville et s'y rend directement. Il s'agit juste de réussir à monter dedans.

Dès qu'il arrive sur le parking, tout le monde se rue dessus. Il y a suffisamment de place pour tous, ce qui n'empêche pas que dès qu'il ouvre ses portes, les gens se bousculent dans tous les sens. Pour monter à l'intérieur, les jeunes n'hésitent pas à doubler les personnes âgées ou les femmes avec leur enfant. Personne ne dit rien, ce comportement choquant pour nous semble normal et accepté ici.

La descente du véhicule est plus tranquille, personne ne s'arrête aux Tombeaux. Le calme du lieu rajoute à sa majesté. Une longue allée bordée de statues conduit au tombeau de Yongle, l'empereur qui a conçu le lieu.

Autrefois la zone était interdite à la population et la voie qui menait au sanctuaire complétement dégagée; aujourd'hui des habitations et des routes sont venues s'intercaler, il faut désormais prendre la voiture pour aller d'un mausolée à l'autre.

Celui de Yongle, appelé Changling, est réputé le plus important. Il est effectivement très riche. A l'intérieur du temple principal, l'empereur trône au milieu de la pièce sur son siège d'or. Des collections d'objets précieux sont bien mises en valeur, et une exposition retrace les principaux accomplissement de Yongle, de ses exploits maritimes à la construction de la Cité Interdite, en passant évidemment par les Tombeaux des Ming.

La visite complète bien celle de la Cité Interdite. Nous comprenons maintenant mieux que si elle semblait si vide, c'est en partie parce que les empereurs emportaient beaucoup de leurs richesses terrestres dans leur dernière demeure, et qu'elles se trouvent donc ici.

Nous passons presque toute la journée sur place, revenant à Pékin juste au moment des traditionnels bouchons de 17h. Il est déjà l'heure du dîner lorsque nous regagnons l'auberge. Nous n'avons pas encore testé le canard laqué, pourtant spécialité de Pékin. Il est temps d'y remédier. Cuisiné juste comme il faut et coupé en fines tranches qu'il faut enrouler d'une petite crêpe, il est effectivement délicieux.

Samedi soir oblige, nous décidons ensuite d'aller apprécier la vie nocturne pékinoise. Le quartier des bars et boîtes de nuit n'est pas très fréquenté. Les établissements, très bruyants, proposent presque tous des concerts de pop chinoise.

Après quelques péripéties et notamment un serveur qui nous réclame 120 yuans pour une coupelle de cacahuètes que nous n'avions même pas commandée, nous prenons le chemin du retour. Il est 1h du matin, les rues sont quasiment désertes. Je ne sais pas si c'est le froid, mais l'ambiance est loin d'être aussi folle que des amis me l'avaient décrite.

La bonne opération de la soirée restera le taxi, qui ne nous aura coûté que 30 yuans à quatre, pour une distance plus longue que la veille. En réalité il suffit simplement de donner sa destination, de monter et d'attendre que le chauffeur mette le compteur kilométrique en route. On ne nous y reprendra plus!




Quatrième jour:
Notre voyage a eu un intérêt plutôt culturel et historique pour l'instant. La visite du Musée national de Chine me permet maintenant d'avoir également un un point de vue intérieur sur la vie politique du pays, laquelle est tant commentée et décriée en Occident. L'exposition permanente « la réjuvénation du peuple », au nom évocateur, est à ce titre des plus pertinentes.

Elle présente une histoire très subjective du pays depuis le milieu du XIXe siècle jusqu'à aujourd'hui, analysée à travers le prisme communiste. La première section porte sur la période dite « coloniale impérialiste », des années 1840 à 1910. Elle vise à désigner les puissances étrangères, et leurs « complices du régime impérial corrompu », comme responsables de tous les malheurs du pays. L'avènement de la République est un événement qui va ensuite dans le sens de leur Histoire, mais la récupération bourgeoise fait échouer la révolution.

Les déboires passent, et en 1949 changement de décor complet, la République Populaire de Chine est proclamée le 1er octobre. D'une salle très sombre aux photos de famine, de tristesse et de misère, l'ambiance se métamorphose complétement, désormais lumineuse, rouge pétante, chantante et souriante!

Il n'est ensuite fait aucune mention ni du Grand Bond en Avant, ni de la Révolution Culturelle, ni de la mort de Mao. Sans transition les trois derniers dirigeants, ou plutôt leurs « accomplissements » respectifs, sont successivement présentés: l'ouverture au monde pour Deng, l'adaptation à un nouvel environnement mondial pour Jiang et le développement scientifique pour Hu.

L'intérêt historique de l'exposition est finalement assez limité, mais il est très intéressant de disposer de sources de première main pour juger de l'intensité de la propagande du régime communiste actuel.

Changement de paysage l'après-midi avec la visite du Palais d'Eté. Comme aux tombeaux des Ming, les collections sont là encore plus fournies et mieux mises en valeur qu'à la Cité Interdite. Le parc demeure le point central du site. Des multiples ponts enjambent le lac pour rallier de petites îles, donnant lieu à un superbe spectacle, notamment au coucher du soleil.

Le lieu est donc particulièrement propice à a promenade, sur les canaux ou sous la galerie semi-ouverte qui surplombe l'eau sur près d'un kilomètre. Le parc ne semblant pas fermer le soir, nous sommes restés à nous balader bien après la nuit tombée. Un petit hot pot assez folklorique mais peu nourrissant avant de rentrer, il faut se coucher tôt pour être en forme pour la dernière journée.




Cinquième jour:
Encore une fois réveil avant le jour, ce coup-ci pour aller assister au lever de drapeau sur la place Tian'anmen. Il faut bien le reconnaître, le spectacle est bien plus intéressant de l'autre côté de la barrière, dans le public.

Malgré l'heure matinale, les bruyants groupes de touristes massés à l'extrémité Nord de la place sont très nombreux. Dès qu'ils aperçoivent la trentaine de soldats franchir la grande porte de la Cité Interdite drapeau en main, ils bousculent dans tous les sens, brandissant leur appareil photo à bout de bras pour obtenir rien de plus qu'un très banal cliché.

Avant même la fin de la cérémonie, ils s'en désintéressent complétement et tournent le dos rapidement. Comme s'ils avaient accompli leur devoir patriotique de bons touristes. Ceux qui restent courent littéralement à mesure que la ligne de sécurité est levée, pour aller prendre des clichés similaires quelques mètres plus loin.

Notre journée politique à nous s'est ensuite poursuivie avec la visite du Palais du Peuple, qui accueillent les sessions de l'Assemblée Nationale Populaire, l'équivalent (toutes proportions gardées) d'une chambre des députés. Seule une petite partie de l'immense édifice est ouverte au public. L'ensemble paraît assez vide, comme si l'absence d'âme démocratique se traduisait dans l'espace.

Une fois sortis, nous longeons sur tout son flanc Ouest la Cité Interdite, avant de gravir les pentes escarpées de la colline du Jingshan (ou colline de Charbon) qui surplombe la ville. La vue sur les toits de Pékin est large et intéressante, l'ambiance dans le parc très reposante.

Avec des mouvements lents, tout en contrôle et retenue, des personnes âgées pratiquent le taiji. Un vieux monsieur nous propose de nous initier à cet art, muni d'une sorte de raquette au tamis de toile et d'une grosse balle en plastique dur. L'échange est très sympathique, sans arrière-pensées.

Malheureusement les attrape-touristes pékinois trop vite nous rattrapent. Trois pousse-pousses nous accostent dans la rue, nous proposant de nous emmener jusqu'à la prochaine station de métro, en criant « three three three ». Le prix est dérisoire, nous sommes fatigués de marcher, et puis c'est l'occasion de voir la ville sous un angle différent.

Ni une ni deux nous embarquons, bien vite amusés par les secousses et les sensations de ce transport pittoresque. Nous sillonnons quelques authentiques hutongs dans lesquelles nous ne nous serions pas aventurés de nous-mêmes, jusqu'à ce que les conducteurs nous intiment de descendre.

Satisfaits, nous nous apprêtons à payer, et même à laisser un joli pourboire. C'est ici que la supercherie se dévoile: ils ne nous demandent pas trois, mais trois-cents yuans par personne! Nous avons beau contester, l'étau s'est déjà refermé sur nous. Aucun moyen de prouver le prix initialement fixé si ce n'est une carte avec leurs propres prix, qu'ils nous sortent de leur poche comme par magie. La ruelle étroite est déserte et ils nous barrent le passage.

Nous finissons par leur donner 100 yuans chacun en nous éloignant bien vite, alors que le plus costaud des trois nous poursuit encore quelques dizaines de mètres. La situation aurait facilement pu mal tourner et nous ne nous en sommes finalement pas si mal sorti que ça, même si le sentiment de s'être fait avoir est assez rageant. Leur mécanique est bien huilée, et beaucoup de touristes ont déjà dû se faire escroquer de la sorte.

L'après-midi, le temple du Ciel conclut majestueusement notre séjour. Il y a certes beaucoup de touristes, mais le parc est grand et il est facile de leur échapper. Les temples et les jardins valent vraiment le détour. Le Mur aux Echos est très surprenant, puisqu'en se parlant chacun depuis les extrémités Est et Ouest avec la tête tournée vers le Nord, la circularité parfaite du mur d'enceinte permet de discuter aisément sans même élever la voix.

Il est ensuite temps de rentrer à l'auberge chercher les sacs, emprunter le train Express jusqu'à l'aéroport et reprendre l'avion pour Hong Kong. Ainsi s'achève, non sans une certaine nostalgie, un dense deuxième voyage. L'aperçu de la Chine fut bref, mais l'angle assez large pour donner envie de s'imprégner davantage de ce fascinant pays...

 



Avec plus de recul, trois remarques semblent venir s'ajouter à mes impressions sur Pékin.

Tout d'abord, les relations sociales semblent assez conflictuelles, bien plus qu'à Hong Kong. Les gens crachent par terre un peu partout, après s'être raclés la gorge très bruyamment. Il ne semble pas les déranger de se bousculer les uns les autres, et de ne pas céder leur place aux personnes âgées ou aux enfants dans les transports publics. Nous avons également assisté à plusieurs scènes de vives disputes émaillées de copieuses insultes, dans la rue ou même au restaurant.

Le deuxième élément surprenant réside dans la façon qu'ont les chinois de traiter leurs monuments et leurs sites anciens. Le label AAAA délivré par le gouvernement signifie « Attraction Touristique Nationale », là où dans les pays européens l'accent est davantage mis, au moins en ce qui concerne l'appellation, sur l'aspect héritage et patrimoine à protéger que sur l'intérêt touristique direct. Je pense que la dénomination n'est pas anodine, les chinois semblant voir en priorité l'activité touristique et les promesses de profits que représentent un site historique majeur. Par exemple, presque tous les temples possèdent leur boutique de souvenirs dans leur intérieur même. En revanche pour expliquer le mauvais état des bâtiments ou la pauvreté des collections, un ami chinois mentionnait surtout les aléas de l'histoire chinoise, des gigantesques incendies aux invasions et pillages par les puissances étrangères.

Enfin, la façon dont les pékinois perçoivent les touristes est assez particulière, dérangeante à de nombreux égards. Si vous n'êtes pas assez fermes dès le début avec les vendeurs ambulants, ils peuvent vous suivre pendant une visite entière ou toute une balade, même sur la Grande Muraille. Il existe énormément d'attrape-touristes, et il épuisant de devoir rester vigilant pour ne pas se faire avoir. Dès que vous relâchez un instant votre méfiance, le piège se referme, comme à Wangfujing, lors de l'épisode du taxi ou des pousse-pousses dans notre cas.

Il serait cependant abusif de généraliser sur Pékin, notre vision est faussée par le fait que nous n'avons justement visité que les lieux les plus touristiques. Nous restions principalement cloisonnés dans les quartiers centraux des deux premiers anneaux de l'agglomération, qui en compte cinq au total. Propres, sécurisés et spacieux, ils reflètent certainement l'image que les autorités chinoises veulent donner de leur pays au reste du monde, mais ne montrent qu'une infime partie de la vie de la capitale. Pour découvrir le vrai quotidien pékinois, il faudra revenir...




25/10

 

Hong Kong et Singapour au-delà des apparences


Hong Kong et Singapour font l'objet de fréquentes comparaisons. Leurs modèles économique, social ou politique, sont souvent confrontés. Ces villes ont enregistré toutes les deux un développement économique assez exceptionnel depuis les années 1960-70. Elles ont toutes deux été des colonies britanniques pendant de près de 150 ans. Mais les points communs s'arrêtent bien vite.


Dès la sortie de l'aéroport de Singapour, le passager qui vient de Hong Kong est d'emblée surpris par l'anglais impeccable du chauffeur de taxi. En plus, il est loin d'être une exception. Tous les panneaux sont traduits dans les rues, radio et télévision diffusent des programmes en anglais, et jusqu'au moindre petit commerçant toute la population semble maîtriser la langue de Shakespeare. Bien plus qu'à Hong Kong, où le cantonais prend largement le pas sur les deux autres langues officielles.

La deuxième chose qui frappe, c'est l'importance accordée à la notion d'espace à Singapour. Les 2 fois 3 voies semblent vides, peu fréquentées en raison des conditions très prohibitives requises pour acquérir une voiture. Arbres et plantes, bien que d'allures peu naturelles, essaiment sur les bords de la chaussée. Les parcs sont nombreux, les habitations espacées. Ce sont majoritairement des maisons peu hautes, semblant accroître encore la largeur des rues.


L'atmosphère est aussi rendue très différente par un multiculturalisme nettement plus palpable. Dans le quartier musulman, le visiteur s'imagine dans une ville du Moyen-Orient bien plus qu'en plein cœur du sud-est asiatique. Même à une heure avancée de la nuit, des hommes barbus continuent de palabrer aux terrasses des bars à chicha, à deux pas d'une des nombreuses mosquées de la ville. Magasins de foulard pour femmes, bazars et autres restaurants traditionnels, rythment l'endroit.

Du côté de Little India, le quartier indien, l'ambiance est tout aussi enivrante. La circulation est beaucoup plus désordonnée, les trottoirs sont bondés. Dans la fournaise des marchés, il faut arriver à se frayer un chemin au milieu de la foule et des étales qui dégorgent d'épices, de vêtements, de chaussures, de gâteaux, de souvenirs... La musique traditionnelle et une profusion de couleurs s'ajoutent à un festival de senteurs, ravissant presque tous les sens.

Chinatown apparaît bien fade à côté. Les maisons basses prennent le pas sur les longs buildings. L'espace, la propreté et la faible agitation tranchent également par rapport aux grandes villes chinoises actuelles.

Dans l'ensemble, Singapour semble plus agréable à vivre que Hong Kong. Cependant, sur le long terme, le constat peut s'inverser. La rigueur des règles de la cîté-Etat finît probablement par peser. Le malfaiteur qui crache dans la rue, qui mange ou qui boit dans le métro, peut être sanctionné d'une amende. Comme celui qui traverse au feu rouge ou qui demande l'arrêt du bus pour ne pas descendre. Les journaux, complétement contrôlés par le pouvoir militaire, relatent jusqu'à la moindre consommation de drogue, passible de six mois de prison ferme. Le trafic est quant à lui puni de la peine de mort, récemment appliquée dans le cas d'un touriste sud-africain qui transportait dans son bagage 3 kilos de méthamphétamine. En rentrant, le relatif désordre de Hong Kong devient presque appréciable finalement!

Un autre facteur qui pousse à considérer un séjour prolongé dans la Région Administrative Spéciale de la République Populaire de Chine plus plaisant que dans la petite île de la péninsule malaise, demeure la différence de leurs environnements proches. Si la ville est oppressante à Hong Kong, elle est aussi très concentrée et la nature est toute proche. A Singapour l'urbanisation est certes plus harmonieuse, mais s'étale sur tout le territoire. Aussi plaisants soient-ils, on reste toujours plus ou moins cloisonnés dans les mêmes endroits. Paroles de singapouriens.
 

Dépaysement garanti à Bintan


C'est comme si l'Indonésie commençait dès que vous voulez prendre le bateau pour l'île de Bintan. Il est 18h, un orage équatorial éclate. Des trombes d'eau s'abattent sur Singapour. Assez authentique jusque-là. Sauf qu'ici les chauffeurs de taxi ne veulent pas prendre le risque d'un accident, en circulant sur des voies littéralement inondées. Le dernier enregistrement avant le départ du ferry a lieu dans moins de 45 minutes, trop tard pour se rendre au terminal en transports en commun. Les billets sont déjà réservés, il faut trouver une solution. Comme un avant-goût de l'organisation indonésienne...

Une petite montée d'adrénaline et un chauffeur kamikaze aidants, finalement vous avez même le temps d'un café avant d'embarquer. Le bateau peu rempli n'est pas gage d'assurance par cette météo capricieuse. La nuit semble cependant absorber les vagues qui se cassent sur la coque du navire, apaisant les angoisses. Le trafic alentour est absolument impressionnant. Pendant toute la traversée, les lumières des porte-containers éclairent le chemin, presque sans discontinuer. Voilà ce que veut dire être le deuxième port le plus actif au monde.

Bintan est à une heure de ferry de Singapour, deux avec le décalage horaire. Un monde. En arrivant il faut acheter un visa, sorte de taxe bien plus que formalité administrative. Les douaniers ne contrôlent même pas le contenu des bagages. Ni les policiers ni les employés d'hôtels qui sont venus accueillir les touristes ne parlent anglais. Les files d'attente sont diffuses, les indications intégralement en indonésien.

Le désordre est encore plus complet sur les routes. Les deux-roues, transportant parfois toute une famille, sont largement majoritaires par rapport aux voitures. Ils roulent à toute vitesse au milieu de la chaussée, frôlant bien souvent les véhicules qui viennent en face. Le bitume, parsemé d'ornières, se transforme parfois soudainement en un chemin de terre. Il en faut cependant plus pour déstabiliser notre habile chauffeur, qui continue de siffloter tranquillement et de klaxonner avant chaque virage.

Il a d'abord fallu traverser Bindan Resorts, la partie Nord de l'île qu'a rachetée un homme d'affaires russe pour y développer un tourisme de haut niveau. Elle est entièrement privée, les usagers sont même stoppés par un péage où ils doivent s'acquitter d'une taxe spéciale pour pouvoir circuler dans la zone. Heureusement l'hôtel que nous avons réservé se trouve à l'écart de ce monde artificiel, nous y parvenons après une heure de trajet à travers la forêt.

Arrivés de nuit, quel n'est pas notre émerveillement quand au petit matin nous découvrons le paysage idyllique qui s'offre à nous dès la sortie du bungalow! La mer est à quelques mètres, d'un vert très pâle. Un groupe de petits oiseaux gris inspecte le sable de leurs longs becs. Comme dans une carte postale, une île verdoyante se trouve juste en face, à quelques centaines de mètres. Sur le rivage, de hauts et longilignes cocotiers s'étirent crânement, encouragés par le climat équatorial.

Les transports en commun étant inexistants, nous louons des scooters pour partir explorer l'île. Pas le choix, il faut bien vite s'habituer à la conduite locale, toujours se tenir sur ses gardes. Une moto peut surgir à tout moment sur votre voie dans un virage, une voiture s'engager alors que vous êtes pourtant à quelques mètres, un singe ou un chien traverser la route. Le danger peut également venir de votre machine, même à deux passagers ces petites cylindrées montent jusqu'à plus de 80km/h et les freins ont du mal à suivre! Nous avons eu la prudence de porter des casques, contrairement à la plupart des autres motocyclistes.

Après plus de 60 kilomètres et deux heures de route au milieu de paysages très variés, tantôt plages paradisiaques tantôt forêts épaisses ou petits villages pittoresques, nous arrivons à Tanjung, la petite capitale de l'île de Bintan. Dépaysement garanti, nous sommes presque les seuls occidentaux. Les rues sont animées, des badauds n'hésitent pas à nous accoster pour offrir un taxi, une location de scooters ou des objets en tout genre. Le nombre de femmes voilées est beaucoup plus important qu'à Hong Kong, celui des mosquées également.

Au détour des ruelles, nous tombons sur un vieil homme en train de faire cuire des poissons au barbecue. Nous nous installons. Personne ne parle anglais, le passage de commande est folklorique. Après quelques détours et fous rires, un poisson délicieusement cuisiné arrive dans nos assiettes. Le repas est simple mais excellent, l'atmosphère joyeuse, nous restons attablés un long moment.

J'ai eu le temps d'expérimenter les toilettes indonésiennes. Pas de cuvette, juste deux emplacements pour mettre ses pieds, et une trappe qui donne directement sur une rivière pleine de détritus. Pas non plus de papier pour s'essuyer, juste un bac avec de l'eau graisseuse et un récipient pour se servir. Le même dispositif pour se laver les mains en sortant. L'hygiène est des plus rudimentaires.

Nous ressortons la tête pleine de sourires et de joyeux souvenirs, tout cela pour moins de deux euros chacun (25 000 roupies indonésiennes). Dehors, un orage rugit et des pluies diluviennes inondent la ville. Il ne doit pas exister de système d'évacuation, il y a parfois jusqu'à 50 centimètres d'eau dans les rues. Le retour en scooter s'annonce épique.

Heureusement la tempête se calme petit à petit, nos vêtements trempés sèchent assez vite. Sur le chemin du retour, nous prenons le temps de nous arrêter à Trikora, présenté comme la plus belle plage de l'île. Il n'y a pas beaucoup de fond et la baignade n'est pas exceptionnelle, mais le cadre est somptueux. Après un bon repas dans une petite cabane de paille surplombant la plage, nous rentrons à l'hôtel. C'est déjà le lendemain qu'il faut prendre le ferry du retour. Les bagages ne sont pas plus lourds, mais la peau bronzée et les esprits émerveillés par ce petit séjour en terre indonésienne.




30/09

La ville de tous les contrastes

 

Ce qui frappe d'emblée à Hong Kong, ce sont ses énormes contrastes. La première fois que je suis sorti du métro à Mong Kok, j'ai cru que je m'étais trompé et que j'étais descendu dans une mégapole du tiers-monde. Les façades des immeubles sont complétement délabrées. Elles apparaissent noircies par une pollution qui stagne à cause de la chaleur et de l'humidité. L'air est irrespirable. Tous les véhicules semblent avoir leur place sur la route, la circulation est anarchique et le trafic presque ininterrompu. Sur le trottoir, la foule grouille dans tous les sens, le mouvement est incessant, les gens se bousculent, crient, chantent; l'atmosphère est oppressante.

Tous les guides touristiques et les manuels de géographie ont beau la décrire comme telle, à première vue la ville ne ressemble pas du tout à l'une des plus riches d'Asie. Dans les rues d'une des places financières les plus actives au monde, des centaines de personnes vivent de petits boulots misérables. Les incroyables buildings de Central peuvent figurer parmi les plus modernes de la planète, il n'est pas rare de les voir ceinturés d'immenses échafaudages de bambou. Et même si le niveau d'hygiène de Hong Kong est présenté comme le plus élevé de Chine, dans les quartiers populaires rats et cafards de plusieurs centimètres sont toujours légions.

A
u sud de Hong Kong Island, dans la station balnéaire de Stanley, c'est la violence de l'opposition entre touristes et locaux qui est saisissante. Une horde de kayakistes en balade frôle la frêle embarcation d'un vieux pêcheur à la canne fatiguée. Derrière les étales dégueulant de souvenirs, l'œil observateur entrevoit les cuisines insalubres de baraquements de fortune. C'est sous ces toits de tôle ou dans les immeubles vétustes du centre-ville que s'entassent probablement par familles entières les petits commerçants du marché. A deux pas de spas de luxe, et d'agences de consulting flambant neuves. Parfois dans le même bâtiment.

Pour essayer de comprendre Hong Kong, il faut alors avoir à l'esprit que l'écart de richesse est ici abyssal. « Le coefficient de Gini de Hong Kong est l'un des plus forts du monde », m'explique une jeune étudiante japonaise. Les plus riches sont très riches et les plus pauvres sont très pauvres. M.Li Ka-shing, magnat de l'immobilier hongkonguais, est le neuvième homme le plus fortuné de la planète. Son patrimoine personnel s'élève à plus de 25 milliards de dollars. Mais à l'autre bout de l'échelle, combien gagne celui qui est payé pour distribuer des tracts ou tenir un panneau publicitaire dans la rue? Celle qui lit dans les lignes de la main? Ceux qui préparent les journaux au petit matin, à l'heure où d'autres rentrent de soirées bien arrosées? Des salaires si maigres qu'ils donneraient sûrement des vertiges à ceux qui vivent confortablement au sommet des gratte-ciels...




29/09

Temples de Hong Kong

 

Pour l'instant, je n'ai eu l'occasion de découvrir que deux temples à Hong Kong, Wong Tai Sin Temple et le Monastère des 10 000 Bouddhas. Ce qui est saisissant dans le premier, c'est la foule et la sensation d'étouffement que le visiteur y ressent. Les fidèles achètent des bâtons d'encens, s'agenouillent pour prier, puis courent chercher le dicton-réponse à leur prière. Des diseurs de bonne aventure et des marchands de souvenirs n'hésitent pas à accoster les touristes, venus en masse le vendredi matin de notre visite.

L'air, très humide, se fait vite irrespirable. Avec tout ce mouvement, l'atmosphère est assez oppressante. Il est difficile d'imaginer que, pour certains, cet endroit est un lieu de culte. La visite s'effectue comme un circuit. Emporté par la foule, s'arrêter ou revenir en arrière devient chose très compliquée. Le visiteur doit d'abord se frayer un chemin au milieu d'une multitude de temples, tous plus abondamment décorés les uns que les autres. Ensuite, il arrive dans des jardins plus calmes et plus agréables. Des pagodes se dressent ça et là, au milieu de petits bassins dans lesquels nagent tranquillement de grosses carpes, et même quelques tortues.

P
our atteindre la sortie, il suffit de revenir sur ses pas et replonger un instant dans la bruyante cohue, qui mêle indifféremment touristes et croyants. Celui qui n'est pas habitué à ce genre d'endroits se sent quelque peu désemparé. Dans leurs prières, les fidèles demandent à Wong, le dieu de la chance et de la guérison, s'ils ont quelque espoir de gagner aux courses hippiques, ou si leurs affaires à venir seront bonnes. Les questions sont très terre-à-terre, elles ont souvent trait à l'argent.

Autre élément remarquable, le temple taoïste abrite un monument dédié à Confucius. « Il n'y a pas de contradictions, c'est un temple deux en un! », explique simplement notre guide. Étrange analogie entre un édifice religieux et ce qui sonne davantage comme le slogan marketing d'un produit de grande consommation. Une vision utilitaire de la religion assez surprenante au demeurant.

J'ai aussi éprouvé certaines de ces impressions au Monastère des 10 000 Bouddhas. La profusion d'objets, de figurines ou de symboles, est encore plus criante. De grandes statues dorées d'environ un mètre de haut, bordent de part et d'autre les 400 marches qui mènent au temple. Le chemin est intégralement bétonné. Derrière ces curieux personnages aux expressions très variées, d'immenses palissades tentent de masquer les habitations toute proches, comme pour faire oublier l'urbanisation galopante. Si près de la ville et dans cet environnement déstabilisant, il est là encore difficile de s'imaginer dans un lieu sacré.

La longue ascension conduit à une vaste terrasse, bordée de part en part de statuettes très richement ornées et beaucoup plus grandes. Elles trouvent leur place soit à l'intérieur de vitrines en verre, soit à l'air libre, entre les bungalows des diseuses de bonne aventure. Du haut d'une étroite colonne d'une dizaine de mètres de haut, il est possible de distinguer en contre-bas, derrière la tête d'un des Bouddha placé dans chacune des petites lucarnes, la ville de Sha Tin et ses immeubles. Une gigantesque pagode octogonale se dresse au milieu de la plate-forme. D'un côté, c'est le regard menaçant d'un immense personnage à l'allure terrifiante qui se jette sur quiconque ose le défier. De l'autre, surprenant contraste, ce sont les traits d'une grande figurine paisible aux larges formes qu'il est possible de contempler.

La démesure du décor ne semble trouver son égale qu'avec les trois imposants Bouddhas trônant au centre du temple principal. Ils sont en or, leur richesse est majestueuse. Les murs sont creusés de plus de 12 000 petites cavités abritant chacune une figurine de Bouddha, immortalisé dans une attitude à chaque fois différente. Le nom du donateur est inscrit sous chacune d'entre elles. Un peu plus bas, des statuettes plus grandes sont disposées sur une sorte de corniche, à hauteur d'homme. Elles sont très colorées, la minutie des costumes et des traits du visage les rend très réalistes.

Au-delà de la beauté, c'est encore une fois le mélange des genres qui saisit l'observateur. Une boutique de souvenirs est implantée à l'intérieur même de l'édifice religieux. Le long des murs, des hommes en costume travaillent sur leur ordinateur, impassibles. Et derrière la vitrine centrale, il n'est pas rare de butter sur des cartons d'emballage ou des produits d'entretien, autant d'objets insolites qu'il est difficile d'imaginer à leur place parmi les dorures et les offrandes d'un temple bouddhiste.

C'est donc un sentiment de surprise qui domine après ces deux premières visites, doublée d'une certaine fascination. Je m'étais documenté sur les religions orientales avant de venir en Asie, mais c'est autre chose que de les expérimenter et d'arriver à les comprendre. Tout est si nouveau, il est encore difficile d'arriver à prendre pleinement la mesure et la réalité de ces lieux.




15/09

Une échappée à Sai Kung

 

C'est le week-end, vous n'avez pas énormément d'impératifs et vous voulez découvrir les environs de Hong Kong. Vous ouvrez alors votre guide de voyage, en quête d'un petit coin tranquille pour passer la journée de samedi. Ça ne devrait pas être très long, bientôt vous allez être charmé par la beauté des images de Sai Kung, péninsule la plus à l'Est des Nouveaux Territoires. Les pages s'arrêtent alors de tourner, comme pour ne pas souiller ces paysages grandioses. Vous lisez la légende: « Tai Long Wan, la plus belle plage de Hong Kong ». Vous savez maintenant que c'est là que vous voulez aller.

En plus l'endroit n'a pas l'air trop loin, et assez facile d'accès. Certains m'avaient mis en garde sur la fiabilité du guide édité par le National Geographic en terme d'utilité pratique, j'ai vite compris ce qu'ils voulaient dire. Très peu de détails, juste des noms d'endroits et des informations sur la faune et la flore. Autant dire qu'il est très difficile d'arriver à bon port avec ça.

Il est bien indiqué un numéro de bus sensé être direct, mais à la station c'est écrit qu'il ne passe que le dimanche! Tant pis, il va falloir se débrouiller autrement. Prendre un autre bus, qui bien vite arrive à son terminus. Ensuite, plus d'autres solutions pour arriver avant la nuit que le taxi. Il ne vous emmène pas exactement où vous escomptiez, le chauffeur vous indique un embarcadère pour prendre un bateau. La baie a l'air jolie, ça peut être sympathique. Une fois arrivé sur l'autre rive, le pilote de l'embarcation montre un chemin qui devrait mener jusqu'à la plage. Vous vous engagez dans le sentier d'un bon pas, pressé de toucher enfin le Graal. Mais bien vite vous ralentissez, quand à la première bifurcation un surfeur australien vous dit qu'il reste encore 45 minutes de marche! Deuxième leçon pour l'apprenti voyageur: avoir une idée générale de l'itinéraire et des points de repère précis.

Parfois l'improvisation a cependant du bon; le petit sentier qui mène à la plage est fort agréable. Il se faufile au milieu d'une forêt très verte à la végétation dense, gigantesque parasol naturel qui le protège du soleil. Le chemin est rassurant et bien balisé, c'est une langue de béton d'un mètre de large qui serpente entre les arbres, à fleur de colline. Dans les airs virevoltent d'énormes libellules, entre les branches ce sont de grosses araignées aux longues et fines pattes qui tissent leur piegeuse toile. Comme la première fois que j'ai aperçu des perroquets et des singes en arrivant ici, une douce candeur m'anime. Je n'avais jamais eu l'occasion d'observer de tels animaux dans leur cadre naturel de vie auparavant, j'ai du mal à me rendre compte quel comportement il vaut mieux adopter, et dans quelle mesure ils représentent un danger.

Agrémenté de ces surprenantes découvertes, le trajet paraît finalement assez court; l'esprit vagabonde volontiers, porté par le tracé vallonné du parcours. Progressivement, l'horizon s'ouvre et le marcheur peut commencer à apercevoir une vaste plage de sable blanc, faisant face à de petites îles verdoyantes. C'est un sentiment d'irréel qui domine, jusqu'à maintenant je n'avais vu de tels paysages que dans les manuels de géographie ou à la télévision. Il me faut quelques minutes de contemplation béate pour commencer à réaliser. La descente vers la plage peut s'amorcer.

Depuis le haut de la colline, elle paraissait toute proche. En réalité ce n'est pas si vrai que ça, et je comprends mieux pourquoi un panneau présentait l'endroit comme l'un des plus reculés de la région de Hong Kong. Le chemin traverse parfois de petits villages, tous plus pittoresques les uns que les autres. Des détritus jonchent le sol, des chiens errants traînent dans les ruelles. Mis à part un petit restaurant et une échoppe de fruits et légumes, l'activité ne semble pas très intense dans cette contrée coupée du monde.

Après plus de trois heures de trajet au total, la plage n'est plus qu'à quelques enjambées. Elle est bien aussi paradisiaque qu'elle en avait l'air sur les photos. Le sable est d'un blanc vraiment très pur, l'eau chaude et propre. La baignade est relativement tranquille, à en croire un plongeur qui voit paradoxalement l'absence de filet anti-requins comme un gage de sûreté. Selon lui, il n'y a pas beaucoup de poissons dans la baie, et ainsi les squales ne sont pas attirés par l'endroit.

Le panorama est vraiment très riche. Derrière se dressent, imposantes, de vertes montagnes. La mer est bordée de deux péninsules rocailleuses. Devant se dessine le large, entrecoupé de petites îles. L'isolement semble si profond que le visiteur peut se demander comment il a bien pu parvenir à ce petit coin de paradis.

C'est certainement grâce à cette difficulté d'accès que l'endroit apparaît aussi préservé et peu fréquenté. Mais parmi les rares touristes qui ont décidé de venir ici pour camper, partager un barbecue ou surfer, étrangement beaucoup sont français. Les étrangers disent souvent que les « froggies » se repèrent facilement; il y a effectivement une part de vrai dans cette affirmation. Même avant d'être inévitablement trahi par son accent si caractéristique lorsqu'il parle anglais, le français est dénoncé par une tenue vestimentaire inadaptée à l'environnement dans lequel il se trouve. Peu ouvert d'esprit, il reste souvent avec ses compatriotes et ne souhaite pas changer ses habitudes. Il veut pouvoir continuer à suivre son mode de vie, avoir son petit confort et manger des choses qu'il connaît. Il est facilement râleur, ne fait pas beaucoup d'efforts pour se faire comprendre et n'est généralement pas très aimable. Et malheureusement lorsqu'il est expatrié à Hong Kong, il passe souvent le samedi à Sai Kung!

La nuit approche et il est temps de quitter les lieux. Le trajet retour est plus rapide, il s'effectue la plupart du temps par bateau. Ici pas de pontons, l'embarquement se fait directement depuis la plage. L'eau arrive jusqu'aux genoux, et les vagues corsent un petit peu la difficulté de l'épreuve. La vingtaine de personnes qui est montée, peut attester que la baie mérite bien son surnom de « Big Wave Bay ».

Mais ce n'est rien comparé à ce qui les attend dès que la barque s'éloigne un peu du rivage. Le chauffeur accélère petit à petit, il se met à crier en chinois dans son oreillette, personne n'a l'impression qu'il maîtrise vraiment son embarcation. Mesurant à peine une dizaine de mètres, elle fait de grands bonds entre les creux d'une mer relativement bien formée. Chaque retombée doit endommager un peu plus la coque. A chaque virage le bateau penche dangereusement. Mais le pilote n'a pas l'air de s'en inquiéter; au contraire il accélère de plus bel. C'est peu rassurant, mais au moins comme ça le trajet dure moins longtemps!

La frêle embarcation arrive finalement à bon port après environ trois quarts d'heure de traversée. Préoccupé davantage par trouver un endroit où se tenir, c'est à peine si j'ai pu entrevoir sur la côte l'un des plus grands réservoirs d'eau de Hong Kong, et admirer le coucher du soleil sur les îles. Il faut maintenant prendre le bus pour retourner à la ville. La parenthèse onirique se referme. Il est difficile de croire que cet endroit merveilleux se trouve à quelques encablures des buildings et de la foule. Mais qu'il est doux de savoir le rêve si proche du quotidien.




09/09

La Chine vue par un étudiant chinois

 

J'aimerais partager une discussion très fournie et très intéressante que j'ai eue avec Sam, l'un des deux chinois qui partagent la salle de bains de mon colocataire et moi. Il était déjà tard et j'allais juste me brosser les dents avant de me mettre au lit. Soudain, Sam me salue en entrant dans la pièce. Il peut sembler superflu de décrire le cadre spatio-temporel, mais il n'est pas négligeable pour comprendre le fond de la conversation. Dans une atmosphère propice à la confidence, il s'agissait juste d'un échange libre, sans tabous. Personne n'étant là pour juger, la franchise pouvait être totale.

Je commence par lui poser poliment quelques questions sur ses études. Ses réponses sont très avenantes, je comprends qu'il a envie de parler. Il vient d'arriver à la Baptist University comme étudiant permanent, ce qui signifie qu'il est sensé y suivre des études pendant au moins 4 ans. Il a choisi de s'orienter vers les sciences en général, la spécialisation dans un domaine particulier n'intervenant qu'en deuxième année. Il vient de Tsing Tao, une petite ville au Nord de Pékin, mondialement connue pour sa célèbre bière. Son père est astronaute et sa mère travaille comme secrétaire; il me dit appartenir à la classe moyenne supérieure. Il ajoute que c'est sans doute la raison pour laquelle il peut faire ses études à Hong Kong, où les frais de scolarité et le niveau de vie sont nettement plus élevés que dans le reste du pays. Nombre de familles de Chine continentale ne peuvent pas s'offrir ce luxe. Beaucoup d'élèves doivent quitter l'école très tôt pour aider leurs parents à travailler dans les champs. Ceux qui ont la chance de continuer à étudier après le lycée, mais néanmoins pas les moyens de s'expatrier, s'inscrivent dans de petites facultés surchargées. Pour eux, le cauchemar de l'impitoyable sélection permanente continue. En effet, Sam m'explique que depuis leur plus jeune âge et jusqu'au baccalauréat, les élèves chinois évoluent dans un environnement ultra-concurrentiel où chacun doit apprendre sans répit des leçons indigestes. Les professeurs placent leurs élèves sous une pression constante. Sam me dit trouver ce système complétement absurde et presque aliénant, il a saisi la première opportunité pour le fuir.

Pour illustrer son propos, il me confie avoir été contraint de cacher son histoire d'amour pendant de nombreuses années, de peur de la réaction de ses professeurs. La direction des établissements scolaires ne les tolère pas, et donne régulièrement des leçons de morale à ceux qui outrepasseraient ces règles, prétextant que les adolescents seraient alors moins concentrés sur les cours, qui doivent rester la priorité absolue. Il en est de même des parents. De peur d'une réaction violente, Sam et sa petite amie n'ont d'ailleurs toujours pas osé leur avouer leur liaison. Le jeune homme concède que les lycéens chinois ont davantage de relations amoureuses que leurs aînés, mais qu'elles doivent rester secrètes au moins jusqu'au terme de leurs études.

Je lui demande alors ce qu'il pense de tout ce système. Question évidemment sensible, mais il ne se dérobe pas. Il me dit ressentir une profonde et indescriptible fierté d'appartenir au peuple chinois, mais en même temps ne pas approuver certains agissements du gouvernement. Sans renier son identité, il porte un regard lucide sur son pays. Pour lui, la Chine est en voie de développement et doit rattraper son retard par rapport à l'occident. Le prix à payer peut parfois se révéler élevé, mais certains sacrifices sont selon lui indispensables. Par exemple, il critique la rigidité du système d'enseignement, mais ne voit pas d'autres alternatives pour le moment car le nombre d'élèves est trop important et une sélection doit forcément s'opérer. Il estime que son pays doit nécessairement accepter de tels politiques pendant encore 20 ou 30 ans, le temps de combler son retard. Seulement il m'explique que lui n'est pas prêt à faire des compromis, et souhaite utiliser ses études à Hong Kong comme un tremplin pour ensuite étudier et travailler dans les pays occidentaux, où il pourrait être susceptible de bénéficier tout de suite de conditions de vie meilleures. Il ne se voit cependant pas passer sa vie entière à l'étranger, et envisage de revenir s'installer dans son pays natal, mais seulement une fois la situation améliorée.

Il est déjà une heure très avancée de la nuit quand il parvient à cette conclusion. Mais peu importe, c'est pour ce genre d'échanges que je suis venu ici. Pour tenter de comprendre la Chine depuis l'intérieur. L'apprentissage passe évidemment par la déconstruction de certains clichés et de certaines idées reçues. Les Français ont souvent l'image de ces jeunes chinois qui viennent étudier dans l'hexagone, restent enfermés dans leur communauté et travaillent sans relâche. Pour Sam, c'est que la différence culturelle est pour l'instant trop grande et le retard à combler très important. Mais quant au caractère réservé et à l'absence d'opinions sur tous sujets personnels ou politiques des citoyens chinois, il m'a brillamment démontré qu'en réalité c'était loin d'être le cas! Les jeunes trouvent de nombreux moyens de s'informer par Internet, ils sont conscients des difficultés de leur pays et des abus de leur gouvernement. Ils envient la réussite occidentale et aspirent à une vie meilleure, mais souhaitent inventer leur propre identité. La Chine de demain est encore loin d'être figée.




08/09

Le voyage

 

Tout d'abord, qui dit partir loin dit forcément long trajet. Mais que ceux qui redoutent les vols longs courriers n'aient crainte, en réalité ils passent très vite. Films, lecture, musique, animations... Tout est fait pour que le passager ne s'ennuie pas, fasse abstraction de la situation et oublie le vertige de l'altitude. Un à un les volets se ferment et peu à peu l'excitation du décollage laisse place à un profond silence; l'espace clos devient propice à la réflexion.

Il est toujours fascinant d'observer les visages, attitudes ou encore tenues de ses voisins, immenses richesses d'une diversité culturelle que la mondialisation est aussi prompte à anéantir qu'à promouvoir. Mais la contemplation naïve de ce délicieux spectacle n'est pas dénuée de toute utilité; elle prépare l'esprit à l'épreuve de la différence qui l'attend à la sortie de l'avion. Comme un fragment du monde dans lequel le voyageur s'apprête à plonger, il peut dès avant sa descente commencer à y goûter.


Au cours de mon premier trajet Paris-Doha, j'ai eu la chance de me trouver à côté du représentant commercial d'un fabriquant de cuisines de luxe. Il parcourt le monde arabe depuis de nombreuses années, et m'a ainsi donné quelques renseignements pour comprendre le Qatar: « Les qatariens sont seulement propriétaires des infrastructures ou des entreprises, mais délèguent toutes les tâches administratives. Les postes intermédiaires sont ici occupés par des Indiens, tandis que ce sont des Asiatiques qui travaillent au plus bas de l'échelle ».

Hasard des destins qui se croisent l'espace d'un éphémère instant, mon premier compagnon de voyage disparaît bientôt, comme happé par la ville aux mille lumières. Mais dès mon arrivée dans la zone de transit, je peux vérifier ses dires. Accueilli par des bagagistes indiens, je rencontre des femmes de ménage asiatiques sur le chemin des toilettes. Peu familier de ce genre d'endroits, l'aéroport et toute sa micro-société me captivent. Ici ce sont de riches saoudiens qui font leurs emplettes dans une boutique de luxe, là un homme enturbanné qui s'accroche avec un policier local au passage de la douane. Des femmes dont seuls les yeux sont visibles sous leur long voile noir aux occidentaux en tenue de vacancier, tout un monde se croise, grouille et s'agite au gré des annonces microphoniques presque incessantes. Il suffit de se laisser entraîner par un de ces mouvements de foule, pour avoir l'impression d'avoir découvert un peu de la destination suivie.

Étourdi par tant de mouvement, je m'assois dans un coin en quête de repos. Soudain, un vieil homme s'approche et me saisit le bras. Un peu effrayé par sa brusquerie, je lui demande en anglais ce qu'il veut. Il m'agrippe de nouveau. Visiblement la langue de Shakespeare ne lui est pas familière. Quelques secondes s'écoulent, entre désemparement et incompréhension. Puis, enfin, il parvient à articuler quelques mots pour me demander l'heure, en français. Je la lui donne, la conversation peut maintenant s'engager. Il a l'air affaibli, je ne saisis pas tout ce qu'il dit, mais il arrive à me faire comprendre qu'il a 70 ans, qu'il est algérien et qu'il a travaillé en France pendant 14 ans, à Marseille, Brest ou encore Bordeaux, comme docker. Il n'a pas réussi à m'expliquer pourquoi il se trouve au Qatar, juste à me dire qu'il devait prendre un avion pour Alger dans cinq heures, et qu'ensuite il aurait encore plus de 1000 kilomètres à parcourir avant de rejoindre son village. Levant les bras au ciel, un sourire un brin désabusé aux lèvres, il me serre la main et s'en retourne attendre à son siège.

Bientôt je le vois qui revient, place un vieux tapis à même le sol et s'agenouille pour prier. Je me dis que j'irai le voir un peu plus tard, pour que l'attente lui soit moins longue. Mais quand je lève les yeux, il n'est déjà plus là. Trop concentré sur mes lectures, je ne l'ai pas vu partir. Je m'en veux. Première leçon pour l'apprenti voyageur: toujours être tourné vers l'instant présent, tous les sens en alerte. J'espère que plus jamais pendant cette année je ne passerai ainsi à côté d'une rencontre.

Finalement l'escale est vite passée, et déjà l'avion survole le désert dans l'autre sens. La nuit est profonde, seulement troublée par la lumière des lampadaires qui bordent la route menant aux puits de pétrole; rivière d'or au milieu des ténèbres. J'essaie de nouer contact avec mon voisin, mais il ne semble pas comprendre l'anglais. J'essaie tant bien que mal de tuer le temps, avant que le repas ne soit enfin servi. Le vieux chinois à côté de moi mange déjà bruyamment ses nouilles, puis il éructe ostensiblement. Je me rappelle alors avoir lu quelque part en préparant mes voyages que c'était une habitude en Chine. Il va falloir s'y faire, la destination finale se rapproche!

C'est une bonne voie pour aborder un endroit inconnu que celle des airs. On peut ainsi se rendre compte de la topographie d'une ville et de ses alentours. L'avion passe d'abord au-dessus des buildings du centre, avant de survoler la mer et ses reflets d'argent. Le soleil baigne quelques îles éparses et teint le paysage de couleurs magnifiques. A mesure que l'appareil se rapproche de la côte, le trafic maritime s'intensifie, jusqu'à atteindre un flot presque continu. Premier contraste entre un cadre naturel superbe et une activité économique incessante.

Enfin l'avion se pose. Le prélude de ce grand voyage s'achève, mais l'excitation de la découverte atteint son paroxysme. L'aventure ne fait que commencer! Dès la sortie de l'aéroport, la chaleur me prend, si étouffante à cause de l'humidité. Le trajet en bus jusqu'à l'université dure à peine une heure, mais déjà une première surprise: ici les véhicules roulent à gauche! Héritage britannique oblige, mais je ne l'avais lu nulle part. Depuis la route, le panorama sur les montagnes est grandiose. Les gratte-ciels s'agglutinent en réalité sur un espace très restreint, nichés entre deux collines. Je me rappelle maintenant que la région de Hong Kong est composée à 70% d'espaces naturels.

Le campus de la Baptist University est situé un peu en périphérie, mais la concentration humaine se ressent quand même très fortement. Le chauffeur de bus est contraint à de véritables prouesses pour éviter les angles des bâtiments. L'exiguïté horizontale pousse à l'extension verticale. La hauteur des immeubles est impressionnante, les tours dortoirs possédant chacune pas moins de 20 étages! Il faudra bien apprendre à surmonter le vertige de cette vie nouvelle, elle n'en est qu'à son premier jour. Mais avant d'aller plus loin, il va falloir aussi se laisser le temps d'apprécier quelques heures de repos...

 

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