La Chine vue par un étudiant chinois

 

J'aimerais partager une discussion très fournie et très intéressante que j'ai eue avec Sam, l'un des deux chinois qui partagent la salle de bains de mon colocataire et moi. Il était déjà tard et j'allais juste me brosser les dents avant de me mettre au lit. Soudain, Sam me salue en entrant dans la pièce. Il peut sembler superflu de décrire le cadre spatio-temporel, mais il n'est pas négligeable pour comprendre le fond de la conversation. Dans une atmosphère propice à la confidence, il s'agissait juste d'un échange libre, sans tabous. Personne n'étant là pour juger, la franchise pouvait être totale.

Je commence par lui poser poliment quelques questions sur ses études. Ses réponses sont très avenantes, je comprends qu'il a envie de parler. Il vient d'arriver à la Baptist University comme étudiant permanent, ce qui signifie qu'il est sensé y suivre des études pendant au moins 4 ans. Il a choisi de s'orienter vers les sciences en général, la spécialisation dans un domaine particulier n'intervenant qu'en deuxième année. Il vient de Tsing Tao, une petite ville au Nord de Pékin, mondialement connue pour sa célèbre bière. Son père est astronaute et sa mère travaille comme secrétaire; il me dit appartenir à la classe moyenne supérieure. Il ajoute que c'est sans doute la raison pour laquelle il peut faire ses études à Hong Kong, où les frais de scolarité et le niveau de vie sont nettement plus élevés que dans le reste du pays. Nombre de familles de Chine continentale ne peuvent pas s'offrir ce luxe. Beaucoup d'élèves doivent quitter l'école très tôt pour aider leurs parents à travailler dans les champs. Ceux qui ont la chance de continuer à étudier après le lycée, mais néanmoins pas les moyens de s'expatrier, s'inscrivent dans de petites facultés surchargées. Pour eux, le cauchemar de l'impitoyable sélection permanente continue. En effet, Sam m'explique que depuis leur plus jeune âge et jusqu'au baccalauréat, les élèves chinois évoluent dans un environnement ultra-concurrentiel où chacun doit apprendre sans répit des leçons indigestes. Les professeurs placent leurs élèves sous une pression constante. Sam me dit trouver ce système complétement absurde et presque aliénant, il a saisi la première opportunité pour le fuir.

Pour illustrer son propos, il me confie avoir été contraint de cacher son histoire d'amour pendant de nombreuses années, de peur de la réaction de ses professeurs. La direction des établissements scolaires ne les tolère pas, et donne régulièrement des leçons de morale à ceux qui outrepasseraient ces règles, prétextant que les adolescents seraient alors moins concentrés sur les cours, qui doivent rester la priorité absolue. Il en est de même des parents. De peur d'une réaction violente, Sam et sa petite amie n'ont d'ailleurs toujours pas osé leur avouer leur liaison. Le jeune homme concède que les lycéens chinois ont davantage de relations amoureuses que leurs aînés, mais qu'elles doivent rester secrètes au moins jusqu'au terme de leurs études.

Je lui demande alors ce qu'il pense de tout ce système. Question évidemment sensible, mais il ne se dérobe pas. Il me dit ressentir une profonde et indescriptible fierté d'appartenir au peuple chinois, mais en même temps ne pas approuver certains agissements du gouvernement. Sans renier son identité, il porte un regard lucide sur son pays. Pour lui, la Chine est en voie de développement et doit rattraper son retard par rapport à l'occident. Le prix à payer peut parfois se révéler élevé, mais certains sacrifices sont selon lui indispensables. Par exemple, il critique la rigidité du système d'enseignement, mais ne voit pas d'autres alternatives pour le moment car le nombre d'élèves est trop important et une sélection doit forcément s'opérer. Il estime que son pays doit nécessairement accepter de tels politiques pendant encore 20 ou 30 ans, le temps de combler son retard. Seulement il m'explique que lui n'est pas prêt à faire des compromis, et souhaite utiliser ses études à Hong Kong comme un tremplin pour ensuite étudier et travailler dans les pays occidentaux, où il pourrait être susceptible de bénéficier tout de suite de conditions de vie meilleures. Il ne se voit cependant pas passer sa vie entière à l'étranger, et envisage de revenir s'installer dans son pays natal, mais seulement une fois la situation améliorée.

Il est déjà une heure très avancée de la nuit quand il parvient à cette conclusion. Mais peu importe, c'est pour ce genre d'échanges que je suis venu ici. Pour tenter de comprendre la Chine depuis l'intérieur. L'apprentissage passe évidemment par la déconstruction de certains clichés et de certaines idées reçues. Les Français ont souvent l'image de ces jeunes chinois qui viennent étudier dans l'hexagone, restent enfermés dans leur communauté et travaillent sans relâche. Pour Sam, c'est que la différence culturelle est pour l'instant trop grande et le retard à combler très important. Mais quant au caractère réservé et à l'absence d'opinions sur tous sujets personnels ou politiques des citoyens chinois, il m'a brillamment démontré qu'en réalité c'était loin d'être le cas! Les jeunes trouvent de nombreux moyens de s'informer par Internet, ils sont conscients des difficultés de leur pays et des abus de leur gouvernement. Ils envient la réussite occidentale et aspirent à une vie meilleure, mais souhaitent inventer leur propre identité. La Chine de demain est encore loin d'être figée.

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