Une échappée à Sai Kung

 

C'est le week-end, vous n'avez pas énormément d'impératifs et vous voulez découvrir les environs de Hong Kong. Vous ouvrez alors votre guide de voyage, en quête d'un petit coin tranquille pour passer la journée de samedi. Ça ne devrait pas être très long, bientôt vous allez être charmé par la beauté des images de Sai Kung, péninsule la plus à l'Est des Nouveaux Territoires. Les pages s'arrêtent alors de tourner, comme pour ne pas souiller ces paysages grandioses. Vous lisez la légende: « Tai Long Wan, la plus belle plage de Hong Kong ». Vous savez maintenant que c'est là que vous voulez aller.

En plus l'endroit n'a pas l'air trop loin, et assez facile d'accès. Certains m'avaient mis en garde sur la fiabilité du guide édité par le National Geographic en terme d'utilité pratique, j'ai vite compris ce qu'ils voulaient dire. Très peu de détails, juste des noms d'endroits et des informations sur la faune et la flore. Autant dire qu'il est très difficile d'arriver à bon port avec ça.

Il est bien indiqué un numéro de bus sensé être direct, mais à la station c'est écrit qu'il ne passe que le dimanche! Tant pis, il va falloir se débrouiller autrement. Prendre un autre bus, qui bien vite arrive à son terminus. Ensuite, plus d'autres solutions pour arriver avant la nuit que le taxi. Il ne vous emmène pas exactement où vous escomptiez, le chauffeur vous indique un embarcadère pour prendre un bateau. La baie a l'air jolie, ça peut être sympathique. Une fois arrivé sur l'autre rive, le pilote de l'embarcation montre un chemin qui devrait mener jusqu'à la plage. Vous vous engagez dans le sentier d'un bon pas, pressé de toucher enfin le Graal. Mais bien vite vous ralentissez, quand à la première bifurcation un surfeur australien vous dit qu'il reste encore 45 minutes de marche! Deuxième leçon pour l'apprenti voyageur: avoir une idée générale de l'itinéraire et des points de repère précis.

Parfois l'improvisation a cependant du bon; le petit sentier qui mène à la plage est fort agréable. Il se faufile au milieu d'une forêt très verte à la végétation dense, gigantesque parasol naturel qui le protège du soleil. Le chemin est rassurant et bien balisé, c'est une langue de béton d'un mètre de large qui serpente entre les arbres, à fleur de colline. Dans les airs virevoltent d'énormes libellules, entre les branches ce sont de grosses araignées aux longues et fines pattes qui tissent leur piegeuse toile. Comme la première fois que j'ai aperçu des perroquets et des singes en arrivant ici, une douce candeur m'anime. Je n'avais jamais eu l'occasion d'observer de tels animaux dans leur cadre naturel de vie auparavant, j'ai du mal à me rendre compte quel comportement il vaut mieux adopter, et dans quelle mesure ils représentent un danger.

Agrémenté de ces surprenantes découvertes, le trajet paraît finalement assez court; l'esprit vagabonde volontiers, porté par le tracé vallonné du parcours. Progressivement, l'horizon s'ouvre et le marcheur peut commencer à apercevoir une vaste plage de sable blanc, faisant face à de petites îles verdoyantes. C'est un sentiment d'irréel qui domine, jusqu'à maintenant je n'avais vu de tels paysages que dans les manuels de géographie ou à la télévision. Il me faut quelques minutes de contemplation béate pour commencer à réaliser. La descente vers la plage peut s'amorcer.

Depuis le haut de la colline, elle paraissait toute proche. En réalité ce n'est pas si vrai que ça, et je comprends mieux pourquoi un panneau présentait l'endroit comme l'un des plus reculés de la région de Hong Kong. Le chemin traverse parfois de petits villages, tous plus pittoresques les uns que les autres. Des détritus jonchent le sol, des chiens errants traînent dans les ruelles. Mis à part un petit restaurant et une échoppe de fruits et légumes, l'activité ne semble pas très intense dans cette contrée coupée du monde.

Après plus de trois heures de trajet au total, la plage n'est plus qu'à quelques enjambées. Elle est bien aussi paradisiaque qu'elle en avait l'air sur les photos. Le sable est d'un blanc vraiment très pur, l'eau chaude et propre. La baignade est relativement tranquille, à en croire un plongeur qui voit paradoxalement l'absence de filet anti-requins comme un gage de sûreté. Selon lui, il n'y a pas beaucoup de poissons dans la baie, et ainsi les squales ne sont pas attirés par l'endroit.

Le panorama est vraiment très riche. Derrière se dressent, imposantes, de vertes montagnes. La mer est bordée de deux péninsules rocailleuses. Devant se dessine le large, entrecoupé de petites îles. L'isolement semble si profond que le visiteur peut se demander comment il a bien pu parvenir à ce petit coin de paradis.

C'est certainement grâce à cette difficulté d'accès que l'endroit apparaît aussi préservé et peu fréquenté. Mais parmi les rares touristes qui ont décidé de venir ici pour camper, partager un barbecue ou surfer, étrangement beaucoup sont français. Les étrangers disent souvent que les « froggies » se repèrent facilement; il y a effectivement une part de vrai dans cette affirmation. Même avant d'être inévitablement trahi par son accent si caractéristique lorsqu'il parle anglais, le français est dénoncé par une tenue vestimentaire inadaptée à l'environnement dans lequel il se trouve. Peu ouvert d'esprit, il reste souvent avec ses compatriotes et ne souhaite pas changer ses habitudes. Il veut pouvoir continuer à suivre son mode de vie, avoir son petit confort et manger des choses qu'il connaît. Il est facilement râleur, ne fait pas beaucoup d'efforts pour se faire comprendre et n'est généralement pas très aimable. Et malheureusement lorsqu'il est expatrié à Hong Kong, il passe souvent le samedi à Sai Kung!

La nuit approche et il est temps de quitter les lieux. Le trajet retour est plus rapide, il s'effectue la plupart du temps par bateau. Ici pas de pontons, l'embarquement se fait directement depuis la plage. L'eau arrive jusqu'aux genoux, et les vagues corsent un petit peu la difficulté de l'épreuve. La vingtaine de personnes qui est montée, peut attester que la baie mérite bien son surnom de « Big Wave Bay ».

Mais ce n'est rien comparé à ce qui les attend dès que la barque s'éloigne un peu du rivage. Le chauffeur accélère petit à petit, il se met à crier en chinois dans son oreillette, personne n'a l'impression qu'il maîtrise vraiment son embarcation. Mesurant à peine une dizaine de mètres, elle fait de grands bonds entre les creux d'une mer relativement bien formée. Chaque retombée doit endommager un peu plus la coque. A chaque virage le bateau penche dangereusement. Mais le pilote n'a pas l'air de s'en inquiéter; au contraire il accélère de plus bel. C'est peu rassurant, mais au moins comme ça le trajet dure moins longtemps!

La frêle embarcation arrive finalement à bon port après environ trois quarts d'heure de traversée. Préoccupé davantage par trouver un endroit où se tenir, c'est à peine si j'ai pu entrevoir sur la côte l'un des plus grands réservoirs d'eau de Hong Kong, et admirer le coucher du soleil sur les îles. Il faut maintenant prendre le bus pour retourner à la ville. La parenthèse onirique se referme. Il est difficile de croire que cet endroit merveilleux se trouve à quelques encablures des buildings et de la foule. Mais qu'il est doux de savoir le rêve si proche du quotidien.

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