Dimension comparative


Voici les trois sections de mon rapport de séjour pour Sciences Po qui correspondent à la partie "dimension comparative". Si vous êtes intéressé par la lecture du rapport dans son intégralité, cliquez ici.


Confrontation avec « la différence »

Une première concession s'impose avant d'entamer toute considération sur « la différence »: les français sont partout à Hong Kong (et en Asie en général). Par conséquent la confrontation avec « la différence », même si bien réelle on va le voir, se trouve tout de même limitée.


J'ai pu m'en rendre compte dès la descente d'avion, car la première personne à qui je me suis présenté en anglais m'a répondu: « ah toi aussi tu es français! ». Moi qui pensais que cette année allait être le dépaysement total et que, comme j'étais le seul de Sciences Po à HKBU, j'allais être complétement plongé dans un environnement culturel et linguistique nouveau, j'ai bien vite déchanté quand je me suis aperçu que les français étaient parmi les mieux représentés dans la communauté des étudiants en échange (plus d'une trentaine par semestre).

Je savais qu'en restant avec eux la dimension culturelle de mon expérience à l'étranger serait réduite, mais en arrivant les contacts sont forcément plus faciles à nouer, d'autant que nous étions de loin les moins bons en anglais. J'ai beaucoup remis en cause cette attitude, mais je pense que sans eux mon intégration et ma première expérience de longue durée à l'étranger ne se seraient pas aussi bien passées. Il est rassurant, surtout au début, de pouvoir exprimer précisément ce que l'on ressent et de « faire une pause » avec l'anglais de temps en temps. Cela m'a par ailleurs permis de tisser des amitiés durables, alors que je ne connaissais personne en arrivant. La présence d'une forte communauté française présente donc certains inconvénients, dont il faut avoir conscience, mais également beaucoup d'avantages.

Je culpabilisais cependant moins car je parlais déjà anglais toute la journée dans mes cours, où la plupart du temps je ne me retrouvais qu'avec des chinois. Les classes ont donné lieu aux échanges les plus abondants avec les étudiants locaux. Mes camarades de journalisme ont pour la plupart fréquenté des établissements internationaux avant d'entrer à l'université, et par conséquent parlent tous un très bon anglais et sont assez curieux et ouverts. Ils m'ont beaucoup appris sur les traditions hongkonguaises, et les discussions avec eux étaient toujours très enrichissantes. En revanche ils étaient beaucoup plus réticents à l'idée de se retrouver en dehors des cours, comme s'ils s'étaient fixés une barrière à ne pas dépasser. J'ai par exemple essayé d'organiser un repas de classe au premier semestre, mais étais assez dépité lorsque nous ne nous sommes retrouvés qu'à cinq avec la professeure. Même ceux avec qui j'ai fait quelques randonnées et sorties restaient cordiaux et semblaient accepter les invitations davantage par politesse.

Quant aux locaux que j'ai rencontrés dans mes autres cours, il était plus difficile d'éviter la superficialité avec eux. Les discussions se cantonnaient bien souvent à un échange entre des vagues impressions sur Hong Kong et des clichés sur Paris, les français romantiques aux yeux bleus et quelques phrases entendues dans des chansons. Je n'ai presque pas tissé de liens avec les hongkonguais qui vivaient à mon étage, parmi les plus bruyants des dortoirs. Il faut dire que ce n'est pas facile tant leur activité et leur rythme étaient décalés par rapport au mien, eux jouant aux jeux vidéo toute la nuit et dormant jusque très tard dans l'après-midi. Même lors des quelques activités organisées auxquelles j'ai participé, ils restaient beaucoup entre eux à parler cantonais et je me sentais bien vite à part. De même au sein de mon équipe de badminton, j'étais le seul étranger et tous les membres du groupe parlaient entre eux en cantonais. Je ne peux évidemment rien leur reprocher, d'autant que presque à chaque fois ils faisaient l'effort de me traduire en anglais. C'est une tendance propre à chaque groupe, et c'était à moi d'apprendre leur langue si je souhaitais m'intégrer davantage.

Il faut par ailleurs garder à l'esprit que moins de 20% des jeunes hongkonguais vont à l'université, et que la plupart des rencontres qu'on peut faire en tant qu'étudiant ne sont alors pas très représentatives de la société hongkonguaise dans son ensemble. Les reportages que j'ai menés dans le cadre de mes cours de journalisme ont donc été très intéressants de ce point de vue-là, de même que les quelques entraînements de badminton que j'ai suivis dans différents clubs de la ville (même si là encore je me suis rendu compte que ce sport est réservé à une certaine élite).

Enfin, j'aurais peut-être dû demander à partager ma chambre avec un colocataire hongkonguais plutôt qu'international, afin de m'intégrer plus facilement à la vie locale. Cela m'amène toutefois à un dernier point, l'expérience de « la différence » au sein de la communauté des étudiants en échange. Forcément celle-ci est bien moins importante car l'écart entre un étudiant français et un allemand ou un américain est bien moins grand qu'avec un hongkonguais, culturellement mais aussi du fait du statut particulier des étudiants en échange qui ne sont pas du tout dans la même perspective puisque par définition ils ne sont que « de passage ». Les relations sont donc beaucoup plus faciles à engager, même si finalement les discussions se résument souvent à comparer ses soirées ou ses voyages de façon assez superficielle.


Le contexte socio-culturel

Les bâtiments historiques ont beau être aujourd'hui disséminés entre les interminables buildings, le passé récent de Hong Kong n'en est pas moins riche. Le territoire était peuplé seulement de quelques pêcheurs lorsque l'Empire chinois a dû le céder aux Britanniques pour mettre fin à la Première Guerre de l'Opium en 1842. Mais si la couronne a porté tant d'intérêt à ce petit archipel sauvage, c'est avant tout en raison de sa position géographique stratégique à l'embouchure du Delta de la Rivière des Perles. Le choix s'est révélé visionnaire, puisque c'est ce rôle de « porte d'entrée de la Chine » qui est à la base du succès économique de Hong Kong.

Pendant plus d'un siècle, la région servait principalement d'entrepôt pour les marchandises qui entraient ou sortaient du pays. La prospérité a véritablement démarré lorsque de nombreuses usines ont commencé à s'implanter dans les années 1970, faisant augmenter de façon exponentielle l'activité économique ainsi que la population. Vingt ans plus tard ces entreprises ont été délocalisées dans la province voisine du Guangdong, grâce à la politique d'ouverture de Deng Xiaoping. Hong Kong s'est alors spécialisée dans les services, un secteur qui représente aujourd'hui plus de 90% de son PIB.

Au niveau politique, Hong Kong a été rétrocédée à la Chine le 1er juillet 1997 en tant que Région Administrative Spéciale (RAS) de la République Populaire. Ce statut, qui est également celui de l'ex-colonie portugaise voisine de Macao, leur confère toutes deux une pleine souveraineté sur les affaires intérieures, et elles ne sont placées sous la tutelle de Pékin qu'en ce qui concerne la politique étrangère et la défense. Cependant les rôles sont parfois ambiguës et le gouvernement chinois essaie régulièrement d'interférer dans les décisions politiques. Les hongkonguais n'hésitent pas à descendre dans la rue pour dénoncer ces abus, exprimant dès maintenant les craintes qu'ils nourrissent pour leurs libertés lorsque l'ex-colonie redeviendra officiellement chinoise en 2047.

Il est effectivement évident que les citoyens de la RAS sont beaucoup plus libres que leurs cousins de Chine continentale. Ils disposent du droit de grève et n'hésitent pas à l'utiliser, comme l'ont fait pendant plusieurs semaines les dockers en avril dernier. Le lecteur se rend également compte en comparant les deux quotidiens anglophones de Hong Kong que la liberté d'expression et la liberté de la presse n'ont rien à voir non plus. Le China Daily est l'un des deux journaux officiels du Parti Communiste Chinois qui l'utilise comme une tribune pour faire passer ses idées, tandis que le plus libéral South China Morning Post présente des articles beaucoup plus détaillés, nuancés et parfois même très critiques envers les gouvernements local et central (même si très patriote en ce qui concerne les affaires extérieures, à l'exemple des articles clairement pro-chinois relatant le contentieux avec le Japon au sujet des îles Diaoyu/Senkaku).

L'identité hongkonguaise est à la fois très marquée par l'héritage britannique et pétrie de culture chinoise. Même si les hôpitaux ont principalement recours aux méthodes occidentales et sont de haut standard, la médecine traditionnelle chinoise régule toujours les pratiques quotidiennes et les échoppes de thé et animaux séchés font toujours florès. De même les Macdonald's ou restaurants de grands chefs européens côtoient les Dai Pai Dongs, petits restaurants de rue typiques. La culture hongkonguaise est donc hybride et se revendique fièrement comme telle notamment à travers l'usage du cantonais, un dialecte qui n'est presque plus parlé qu'à Hong Kong et qui prend largement le pas sur les deux autres langues officielles que sont le mandarin et l'anglais.

La société hongkonguaise est également marquée par une très large population issue de l'immigration, venue essentiellement de Chine continentale, mais aussi des Philippines, des États-Unis et d'Europe. Il en résulte d'immenses inégalités, qui se traduisent par un coefficient de Gini parmi les plus élevés au monde. Les hongkonguais ont un volume horaire de travail très important qui ne leur laisse que peu de temps libre. Ils préfèrent le consacrer à la famille, qui conserve une place prépondérante dans les relations sociales. Ils ne se passionnent pas tellement pour le sport mais sont en revanche très nombreux à assister tous les mercredi et dimanche aux courses de chevaux, principalement parce que c'est le seul endroit où les jeux d'argent sont autorisés.

Beaucoup disent d'ailleurs ironiquement que l'argent est la seule véritable religion de Hong Kong, car il est en effet très bien vu d'afficher sa réussite et sa richesse avec opulence. Les immenses centres commerciaux sont partout, et pourtant les clients sont tellement nombreux que le week-end ils doivent souvent faire une longue queue avant d'y rentrer. Les consommateurs sont par dessus tout très friands de produits de luxe et d'appareils électroniques, sur lesquels s'acharnent la majorité des passagers dans les transports.

Le niveau de vie à Hong Kong est bien supérieur à celui de la Chine, attirant une réelle convoitise. Cela se traduit par une forte immigration qui souhaite profiter d'un système d'éducation et de santé bien meilleurs. Ainsi sur les 88 000 naissances qui ont eu lieu à Hong Kong en 2011, 41 000 nouveaux-nés avaient une mère de Chine continentale. Les femmes enceintes entrent à Hong Kong avec une sorte de visa touristique (IVS), puis y accouchent pour profiter d'un meilleur service, mais surtout pour que leur enfant acquiert de fait la nationalité hongkonguaise et puisse bénéficier de tous les avantages que cela représente. Le ressenti est alors très fort envers ces immigrés qui sont accusés d'être une menace pour la prospérité, de même que pour l'identité de la RAS.

 

La société de Hong Kong est donc unique, et particulièrement intéressante à étudier d'un point de vue journalistique.


Le système universitaire

Mon année d'études à l'Université Baptiste de Hong Kong a été principalement orientée vers le journalisme, en sélectionnant à chaque semestre trois cours sur cinq relatifs à cette matière. Par une approche de terrain ils ont été une opportunité unique pour comprendre plus en profondeur la société hongkonguaise, et m'ont pleinement satisfait. Je ne peux cependant pas vraiment comparer avec les cours du Collège Universitaire de Sciences Po car ils sont beaucoup plus spécialisés.

L'intérêt suscité par les matières plus « classiques » que j'ai sélectionnées a été moins fort. Le système d'enseignement n'en est cependant pas moins intéressant, mêlant les standards anglo-saxons et la culture d'apprentissage chinoise. Certains cours consistent presque intégralement en un échange d'opinions entre les étudiants, au détriment de véritables contenus délivrés par le professeur, et les examens se résument bien souvent à la répétition mot pour mot d'un chapitre du cours, sans faire appel à aucune forme de réflexion. De même pour les exposés et autres devoirs à rendre dans le semestre, où aucune problématisation n'est requise. La différence entre les cours des deux premières années à Sciences Po et ceux que j'ai suivis à HKBU se trouve principalement à ce niveau-là.

Le système français consiste en des cours magistraux très denses où il faut prendre beaucoup de notes, mais les évaluations demandent en général une véritable organisation argumentée de ces connaissances; tandis qu'ici les cours sont moins denses avec des powerpoints où tout est écrit, et les examens consistent simplement à utiliser presque telles quelles les connaissances apprises. Le volume horaire hebdomadaire est également plus élevé à Sciences Po avec vingt heures de cours par semaine, alors qu'ici il se situe entre 12 et 16 heures. Les contenus sont moins denses ce qui permet de mieux maîtriser chaque matière, mais je dois reconnaître que cela est beaucoup moins stimulant et que j'ai parfois regretté le rythme de travail de Sciences Po, surtout au deuxième semestre où j'avais beaucoup moins de reportages à faire en ne participant plus au journal de l'université.

Concernant la discipline, les retards sont quasi systématiques et il n'est pas rare que dans certaines classes le taux d'absentéisme soit parfois de moitié, les étudiants présents préférant quant à eux somnoler ou jouer sur leur smartphone. Dans ces conditions les exposés ne sont pas très gratifiants, d'autant que beaucoup doivent être réalisés au sein de groupes assez conséquents et que très peu de vos camarades osent prendre des initiatives. L'organisation et la communication sont parfois assez difficiles.

La seconde grande différence entre Sciences Po et HKBU est qu'il est possible de vivre sur le campus de l'université. J'ai adoré cette expérience car elle m'a permis de trouver un réel esprit de camaraderie et de convivialité, que je n'ai jamais vraiment ressenti et qui m'a manqué lors de mes deux premières années au Collège Universitaire. Les rencontres sont beaucoup plus faciles, surtout pour les étudiants en échange qui ne connaissent personne en arrivant. Tout le monde est amené à respecter les règles de la vie en communauté, et un réel dialogue entre les savoirs s'opère puisque les étudiants de tous les départements de l'université se côtoient dans les deux tours dortoirs jumelles (les fameux « Halls »).

Qui plus est la vie de campus élimine le temps perdu dans les transports ou celui consacré à la préparation des repas puisque la cantine des Halls est ouverte tous les jours de l'année du matin tôt jusqu'au soir tard. Tout est fait pour le bien-être des étudiants, avec notamment des infrastructures sportives nombreuses et variées, qui permettent de pratiquer tous les jours et gratuitement une activité différente. Les résidences sont le cœur du campus où l'on peut toujours trouver des camarades partants pour un cinéma, un restaurant ou un pingpong. Les études sont courtes et la vie de campus permet de s'y consacrer pleinement, favorisant dans le même temps une circulation transversale des savoirs pour plus de créativité. Facebook ou Apple combinent par exemple avec succès innovation technique et stratégie commerciale entreprenante, et sont les plus belles pépites de ce modèle appliqué aux États-Unis.

La seule critique qui peut être formulée est le fait que ce mode de vie encourage la formation d'un microcosme plus ou moins coupé des réalités. Le campus est toutefois très bien situé et le centre ville est à quelques minutes de métro, rendant les sorties très faciles. Pour ma part je n'ai pas tellement ressenti cet effet « sectarisant » puisque mes reportages m'amenaient à beaucoup me déplacer pour rencontrer des personnes extérieures.

[voir le rapport de séjour en entier]




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